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Quel avenir pour la chanson marocaine ?

Le débat sur l'authenticité ou la modernité de la chanson marocaine a provoqué des échanges houleux sur la chaîne de Aïn Sebaâ il y a quelques mois. Un débat qui ressemble plus à un conflit de générations.

En dépit du fait que cette chanson est née sous l'influence de la machine musicale et cinématographique égyptienne, les artistes ayant fait sa gloire se revendiquent toujours d'une certaine authenticité. Paradoxalement, «Aloughnia Al Maghribia Al Âsria» a été une sorte de révolution pour l'oreille marocaine habituée à la musique andalouse, au Melhoun, à la Aita, aux différents répertoires soufis. Influencée au départ par ce qui se faisait en Egypte ou au Liban, cette nouvelle chanson a réussi à se donner une identité propre. «Mersoul El Hob», «Kitar Al Hayat», «Wakfach tghanniyaguelbi", "Yak Ajar'hi", "Raqsat Al Atlas", « Mohammed Sahib Ech chafaâ », «Souelt âlik l'ôud ou ennay» et beaucoup d'autres ont eu un succès qui a dépassé les frontières à leur époque. Tous les médias parlaient d'une nouvelle vague dans la chanson qui explorait d'autres influences, d'autres sources d'inspiration. Pourtant, quelque chose s'est passé, durant les années quatre-vingts et la chanson marocaine est tombée dans la répétition, le manque de créativité pour ne pas dire la médiocrité. Les opinions divergent sur ce point. Certains disent que c'est la faute au marché de la musique qui est pratiquement inexistant. D'autres mettent la faute sur le dos des médias qui se sont relativement désengagés de la production et de la diffusion de cette chanson. D'autres encore parlent de difficultés au niveau de la production privée qui a des coûts de plus en plus élevés, le piratage, l'invasion satellitaire etc. Dans une interview accordée à la chaîne Al Oula, Younes Megri avait déclaré qu'il « ne voulait plus faire partie du monde de la chanson parce que les règles du jeu ont changé La créativité et la qualité musicales sont passés au second plan devant le clientélisme et la corruption. Je ne voulais pas que mon nom soit associé à cette réalité». Enfin de compte, les raisons sont multiples et le problème demeure entier.

Houcine Slaoui, Ahmed El Bidaoui, Abdelkader Rachdi, Mohammed Benabdeslam, Brahim El Alami, Ismaïl Ahmed, Abdessalam Amer, Ali Haddani, Ahmed Taieb El Alj, Abderrafii Jaouhari, Abdallah Chakroun, Abdelouahab Doukkali, Naïma Samih, Abdelhadi Belkheyat, Samira Bensaid, Latefa Raafat, Bahija Idriss, Mohammed El Gharbaoui, Mohammed El Hayani, Mahmoud El Idrissi et bien d'autres ont été les figures de proue de cette chanson marocaine dite moderne. Des compositeurs, des poètes, des chanteurs et des instrumentistes qui ont donné leur vie pour créer une chanson qui se distingue dans le monde de la musique arabe. Leur point de chute, c'est la radio et la télévision. Les studios de la RTM (devenu depuis SNRT)i ont servi de support pour toute cette profusion de musique qui reste dans les mémoires. A la tête des médias nationaux des personnages comme Mehdi Mandjra, Abdallah Chakroun, Abdellatif Khales et beaucoup d'autres ont donné l'impulsion nécessaire pour que la chanson marocaine moderne ait une place au soleil. Tout le monde vous dira que durant les années soixante et soixante dix « c'est l'amour de l'art, l'amour de l'autre, le travail d'équipe et la discipline qui ont permis d'atteindre le niveau que nous avons atteint à l'époque », se souvient Mohamed Bennani Smires, ce violoniste de l'orchestre national lors d'un hommage rendu durant la dernière édition du festival Mawazine. En témoigne la villa sise rue Moulay Ali Chérif, dans le quartier Hassan à Rabat, plus connue sous le nom de «Qism Al moussiqa» dans le jargon des gens de la «RTM». Cette maison a vu naître les plus belles chansons de ce répertoire dont l'archivage et la consignation pour l'histoire laisse à désirer. Il faut dire que les chansons de circonstance, «diniya» (religieuse) ou «wataniya» (nationaliste) prennent une belle part de la chanson marocaine moderne. Des étapes dans l'histoire comme la marche verte ont été l'occasion de créer des chansons pas forcément très brillantes mais qui ont accompagné les événements avec beaucoup d'enthousiasme.

Ceci dit, ce type de chanson de commande a fini par ternir et disparaître avec le temps et les changements d'ère et de goût. Ce qui est par contre étonnant, c'est que la majorité des artistes qui ont fait la gloire de la chanson marocaine ont appris la musique sur le tas, avec la pratique et un grand sens de l'écoute. Aujourd'hui, la plupart des musiciens adeptes de la chanson marocaine ont eu une formation académique. Beaucoup d'entre eux arborent des diplômes et des distinctions décernés par des écoles du monde entier. Mais c'est la créativité qui fait défaut. Depuis la fin des années quatre-vingts, on arrive difficilement à citer une dizaine de chansons qui sont restées dans les mémoires à l'image de «Bared ou skhoun» de Mohammed El Hayani ou encore «Lahla Yzid Ktar» de Abdelouahab Doukkali. Par contre, nos artistes actuels semblent plus créatifs lorsqu'il s'agit de trouver des excuses pour justifier cet état comateux de la «oughnia maghribia» que pour créer des chansons qui s'inscrivent dans la mémoire collective d'un peuple qui a prouvé sa passion pour la musique et son ouverture sur ce qui se fait sous d'autres deux. En fait, il n'y a pas de secret, c'est la créativité, la discipline et l'engagement désintéressé qui arrivent à convaincre un public qu'on ne peut plus tromper avec des chansons de mauvaise facture. Beaucoup reste à faire pour redonner à la chanson marocaine la place qu'elle mérite dans le paysage médiatique national. La nouvelle scène a prouvé que c'est faisable même avec les moyens du bord. A bon entendeur...

Mustapha Bourrakadi
Source: Le Soir Echos

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