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Le parent pauvre de l’offre immobilière au Maroc

Entre le logement social choyé par la politique étatique et les résidences de luxe plus rentables pour les promoteurs, le moyen standing reste le parent pauvre de l’offre immobilière. Et c’est la classe moyenne qui trinque…

“Pour acheter un appartement aujourd’hui, il est préférable d’être riche ou pauvre. Si vous êtes quelque part entre les deux, bon courage !”. Le constat est de Tariq, jeune cadre casablancais, toujours en quête d’un logement “respectable” à un prix “raisonnable”. Et au fil de ses journées de recherche, l’équation lui semble de moins en moins
soluble. Son cas illustre à merveille une implacable réalité : dans les grandes villes du royaume, l’offre en logements, bien qu’abondante, a un parent pauvre, qui s’appelle le moyen standing. Le terme qualifie un appartement de dimensions moyennes, dans une zone peu éloignée du centre ville et garantissant un certain confort, le tout à des tarifs relativement abordables.

Et si ce portrait-robot se fait de plus en plus rare, c’est essentiellement à cause de la hausse continue des prix de l’immobilier dans les grands centres urbains. Une donne qui exclut de facto une large frange de ménages de l’offre pourtant abondante : celle-ci a dépassé en 2006 le cap des 100 000 logements. Mais ce parc est trusté par l’habitat social et, accessoirement, le haut standing.

Surtout, les prix s’envolent. À Rabat, Casablanca, Marrakech et Tanger, des pics à 30 000 DH le m2, certes dans le (très) haut standing, ont été enregistrés. Si la fièvre marrakchie fait office d’exception, l’exemple de la capitale économique serait plutôt un cas d’école. Les prix des terrains intra-muros y ont pratiquement doublé en moins de 5 ans. Ainsi, le mètre carré non bâti dans le quartier Belvédère se paie aujourd’hui 3500 DH, contre 1000 il y a quelques années. Et si l’on s’aventure du côté des boulevards Al Massira ou Anfa, il ne faut pas compter moins de 25 000 DH !

Les prix flambent
Sans atteindre de telles proportions, le moyen standing est aussi sur la pente ascendante. Toujours à Casablanca, le prix au mètre carré bâti est compris actuellement entre 6000 et 8000 DH, selon l’emplacement. Et une stabilisation des prix n’est pas attendue avant 2010, apprend-on du côté du ministère chargé de l’Habitat et de l’Urbanisme. Pour un urbaniste de la place, la tendance haussière des prix serait tout à fait normale. “Cela s’est produit dans tous les pays où des stratégies de développement économique ont été tracées. À la différence près que nous n’étions pas prêts. La vitesse à laquelle ces transformations ont été opérées a pris tout le monde de court et ouvert la porte aux pratiques spéculatives”, dit-il.

Les politiques urbaines, suivies au niveau de certaines villes, agissent également comme un facteur aggravant. Dans l’attente de schémas directeurs qui tardent à venir, certaines agences urbaines ont dû lever le pied et ralentir la cadence de délivrance des autorisations de construire. Là encore, l’exemple de Casablanca est éloquent : de 46 000 en 2003, les autorisations de construire se sont réduites à 17 000 en 2006. Cette raréfaction de l’offre a logiquement tiré les prix vers le haut, surtout dans le moyen standing. “Curieusement, à l’heure actuelle, aucune étude sérieuse des besoins dans ce segment n’a été élaborée par les pouvoirs publics”, indique Omar Farkhani, président du Conseil national de l’ordre des architectes.

Le social d’abord
En réalité, l’Etat a d’autres chats à fouetter. Exemple de l’éradication de l’habitat insalubre et autres bidonvilles, via le développement du logement social. Politique qui n’a pas été sans effets pervers sur les offres de la catégorie supérieure. Les promoteurs du moyen standing, avec des prix allant de 300 000 à 500 000 DH, se sont retrouvés en concurrence avec certaines offres dans l’habitat social… vers lequel une bonne partie de leur clientèle a fini par migrer. “Ces promoteurs étaient dans l’obligation de se démarquer, en améliorant leur prestations, mais aussi et surtout, en ciblant une clientèle plus nantie”, explique Youssef Iben Mansour, président de l’Association des lotisseurs et promoteurs immobiliers de Casablanca (ALPIC).
Du coup, la raréfaction de l’offre de moyen standing se traduit par de véritables ruées sur les projets lancés dans ce segment. Au siège de la Compagnie générale immobilière (CGI-groupe CDG), on semble s’être habitué aux longues files d’attente à chaque annonce d’un projet. “La veille de la commercialisation d’un projet, nous devons gérer de véritables marées humaines. Si nous arrivons à satisfaire une partie de la demande, il est sûr que nous faisons également beaucoup de frustrés”, avoue un responsable commercial de l’entreprise.
Au ministère de tutelle, on commence à prendre conscience de cette situation. Le ministre, Taoufik Hjira, a récemment convié les opérateurs du secteur à s’engager dans une stratégie de “diversification de l’offre”. En attendant, un nouveau concept commence à faire son chemin, celui des villas économiques. Un concept qui accompagne les projets de nouvelles villes, comme la fraîchement inaugurée Tamesna, près de Rabat, ou Tameslouht, dans la banlieue de Marrakech. L’idée a de quoi séduire : une villa d’une superficie moyenne de 160 m2 à 600 000 DH ! La première phase, composée de 7500 unités réparties sur plusieurs villes, ne sera achevée que dans 3 à 4 ans. Mais déjà, côté ventes, on affiche complet. Toutefois, le concept a aussi ses limites. “Rien ne garantit que la cession de ces projets ne se traduise pas par des hausses conséquentes des prix ou des vagues de spéculations”, remarque Youssef Iben Mansour. Le risque d’un déplacement de la cible vers des catégories socio-professionnelles supérieures reste donc réel.

Des incitations fiscales ?
Et si la solution passait par l’intéressement des promoteurs ? “Le développement d’une offre moyen standing est fortement lié à la politique de l’Etat. Des carottes fiscales seraient un bon début”, explique Farkhani. Sauf que le ministère des Finances pencherait plutôt pour… la suppression pure et simple des incitations fiscales. “Au moins le jeu ne sera plus faussé. Le seuil de 2500 logements sociaux sur cinq ans imposé par l’Etat dans l’article 19 de la loi de Finances de 2000 pour accéder aux exonérations fiscales fait que ce sont les plus grands promoteurs qui ne payent pas d’impôts, et limite le potentiel de diversification de l’offre”, fait remarquer un opérateur. À l’ALPIC, un autre son de cloche se fait entendre. “Ce qui serait judicieux, c’est d’envisager un produit labellisé à l’adresse des couches moyennes, avec des mesures d’aides directes aux acquéreurs”, propose Youssef Iben Mansour. Cela passe par des avantages fiscaux pour les populations cibles, par des produits d’épargne-logement défiscalisés, comme c’est le cas dans d’autres pays. En attendant, Tariq, notre jeune cadre casablancais, poursuit toujours sa quête de la perle rare...


Banques. La guerre des taux

Depuis quelques années, le secteur immobilier a connu un changement radical au niveau de l’une de ses composantes essentielles : le financement. Après s’être limitée à sa signification symbolique, la concurrence s’est enfin installée. Et elle est pour le moins rude : actuellement, les banques rivalisent d’ingéniosité en matière d’offres de crédits immobiliers avec, comme premier argument, le sacro-saint taux d’intérêt. Sur ce terrain, le secteur revient de très loin. Il y a moins de dix ans, les taux dépassaient les 12%. Une première série de baisses a été enregistrée dès les années 2001-2002, quand les taux ont été ramenés à 7 et 8%, notamment grâce à l’introduction du taux variable. La tendance s’est ensuite confirmée, pour déboucher aujourd’hui sur des taux oscillant entre 4,22 et 5,15%, hors-taxes bien évidemment. Mais il y a un bémol. La totalité des offres d’appel, avec des taux particulièrement bas, est assortie de certaines conditions. Celles-ci concernent la durée du crédit (généralement inférieure ou égale à sept ans) et le pourcentage du financement (de 50% pour les taux d’intérêt les plus bas). “Les établissements bancaires ont fait l’effort nécessaire. C’est maintenant l’offre qu’il faut réguler”, conclut un banquier.


Youssef Ben Larbi
Source: TelQuel

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