Avec la mondialisation des échanges, l’enjeu pour l’économie marocaine est de relever le niveau de productivité des investissements en promouvant fortement les connaissances scientifiques et techniques. Autrement dit, le challenge que le Maroc se doit de relever est celui d’entrer dans l’économie du savoir, s’il veut conquérir de nouveaux marchés (ou peut-être seulement se maintenir dans ceux déjà conquis), donc avoir sa part dans le commerce mondial.
Car, l’avantage comparatif par les coûts de main-d’œuvre dont disposait le Royaume jusqu’à une date récente a désormais vécu. Aujourd’hui, la situation telle qu’elle apparaît dans les statistiques officielles, montre bien que l’économie marocaine a un contenu technologique limité - ce qui, d’ailleurs, impacte négativement le niveau de la croissance elle-même.
Il suffit de rappeler la dégradation continue de la balance commerciale ces dernières années, avec une aggravation du déficit commercial de 33,3% entre janvier et mai 2007 par rapport à la même période de 2006, et une baisse du taux de couverture de 56,9% à 50,1% sur la même période, pour saisir la faiblesse dont souffrent les exportations marocaines. Selon les statistiques de l’Unesco (2004), les produits à haute intensité technologique représentent à peine 11% des exportations de biens manufacturés du Maroc, «soit un niveau très faible par rapport à celui atteint par la Malaisie ou la Corée du Sud», par exemple.
Il n’y a pas de mystère à cela. La recherche-développement (R&D) au Maroc, comme le fait remarquer un professeur d’université, demeure encore une «activité marginale». Bien sûr, des efforts ont été déployés ces dernières années pour accroître les financements (internes et externes) destinés à la R&D : de 0,3 % du PIB en 1998, les dépenses en R&D par rapport au PIB sont passées à 0,79 % en 2005, soit quelque 4 milliards de dirhams, selon le département de la recherche scientifique. Mais cela reste négligeable quand on sait qu’Israël, par exemple, dépense pour la R&D l’équivalent de 4,75% de son PIB (un PIB qui plus est supérieur à celui du Maroc), et la Chine 1,2% d’un PIB qui dépasse les 2 200 milliards de dollars, soit environ 26 milliards de dollars dédiés à la R&D.
Mais la caractéristique principale du financement de la R&D marocaine - qui est aussi sans doute sa faiblesse -, c’est qu’il est essentiellement d’origine publique. La part du privé dans les 0,79% du PIB dépensé dans la R&D n’est que de 6%. En France, la part du financement privé dans la R&D est de 53% ; elle est de 70% au Japon. Malgré une prise de conscience de plus en plus visible sur la nécessité d’investir dans l’innovation (grâce, entre autres, aux efforts de communication que déploie l’Association R&D Maroc), très clairement, le secteur privé est ici interpellé sur sa très faible contribution dans les dépenses de recherche.
L’essentiel des brevets marocains déposés est le fait d’entreprises européennes
Mais la mesure de la R&D ne se limite pas à l’aspect financement - certes très important puisqu’il détermine à peu près tout le reste. Les institutions multilatérales, en particulier le Pnud (Programme des Nations Unies pour le développement), ajoutent à ce critère ceux liés aux ressources humaines dans la R&D, au nombre et à la qualité des publications scientifiques et au niveau de l’innovation (nombre de brevets déposés).
Concernant les ressources humaines, le personnel scientifique et technique dont dispose le Maroc approche aujourd’hui les 20 000. 10 748 sont des enseignants-chercheurs qui exercent dans les universités, 4 020 travaillent dans les établissements publics de recherche (comme le LPEE, l’INRH, l’Institut Pasteur, etc.), 4 000 dans les établissements publics de formation des cadres et seulement 303 dans les établissements privés d’enseignement supérieur. Il y aurait à ce compte, au Maroc, 6 chercheurs pour 10 000 habitants, quand Israël (encore lui) dispose de 140 chercheurs pour 10 000 habitants, les USA 83 et le Japon 80.
Sur le volet production scientifique, le Maroc, qui occupait la troisième place en Afrique en 2001, devançant l’Afrique du Sud et l’Egypte, se retrouve en sixième position en 2006, dépassé par la Tunisie et le Nigeria (à titre d’exemple). Mais, petite consolation, en terme de qualité de sa production, le Maroc fait mieux que ces deux derniers pays, puisqu’il est le plus cité dans les publications étrangères, à en croire le département de la recherche scientifique.
Quant à l’aspect innovation, le nombre de brevets déposés au Maroc entre 2000 et 2004 a atteint 2 154. Sur ce total, les brevets d’origine marocaine ne représentent que 28,5% ; le reste est partagé entre les brevets déposés par des sociétés européennes implantées au Maroc (71,2%) et les Américains (0,3%).
La réforme de l’université : quel impact sur la recherche ?
Ce qui est frappant dans les brevets d’origine marocaine, c’est qu’ils sont à 92% le fait de personnes physiques, c’est-à-dire d’efforts individuels accomplis en dehors des structures économiques ou scientifiques. En revanche, les brevets déposés au Maroc par les Européens proviennent en totalité des entreprises.
Les causes à l’origine de la faiblesse de la R&D au Maroc sont évidemment nombreuses (voir ci-dessus, entretien avec Mohamed Boussetta), il reste qu’une interrogation taraude nombre d’enseignants-chercheurs : la réforme de l’enseignement supérieur de 2001 a-t-elle donné un coup d’accélérateur à la recherche scientifique, ou, au contraire, un coup de frein ? Si, sur le volet financement, cette réforme a instauré une autonomie des universités qui leur permet de gérer leur budget et de trouver d’autres sources de revenus à travers des partenariats, par exemple, sur la stricte et néanmoins importante question de la formation en post-graduation, certains s’interrogent encore sur la viabilité du nouveau système ; du moins au plan de la recherche scientifique.
En permettant aux titulaires du DEA (diplôme des études approfondies, devenu DESA) d’accéder directement à l’échelle 11, les étudiants, note un professeur, ne sont plus intéressés par l’obtention du doctorat, donc la poursuite de la recherche, puisque, de toute façon, même s’ils obtiennent ce fameux doctorat, ils seront toujours classés à l’échelle 11. «Du coup, les étudiants ont tendance à quitter l’université sitôt le DESA en poche pour venir grossir les rangs des demandeurs d’emploi dans la Fonction publique, devant le Parlement», confie ce professeur.
En réalité, si la carrière universitaire, donc de recherche, était mieux rétribuée, sans doute qu’elle serait plus attractive. Ce n’est pas un hasard si l’Inde a atteint le niveau technologique qui est le sien aujourd’hui : le pays de Ghandi, par sa politique d’encouragement de la recherche scientifique, a réussi à faire revenir ses chercheurs établis notamment aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne où, pourtant, les incitations ne manquent pas.