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Les campagnes marocaines «s’assèchent»

Le Maroc fait face aujourd’hui plus que jamais au défi de l’intégration des populations victimes de l’exode rural. La ville de Fès est un exemple très illustratif de cette pression démographique qui s’exerce sur les centres urbains. En effet, la croissance de la population et du cheptel, principale cause de la désertification, se poursuit sans relâche. Malgré les mises en gardes des scientifiques, la surcharge d’habitat et la croissance de bétails s’accentuent, dans un espace qui se rétrécit (phénomène de densification).

La désertification est essentiellement d’origine humaine. En effet, en plus de l’accroissement démographique qui représente déjà à lui seul une augmentation de la population de plus de 77 millions de personnes chaque année. On estime une hausse du bétail de plus de 35 millions de têtes par an, causes directes de la croissance de la consommation et de la production. Or, aucune culture n’est envisageable sur des terres dites «sèches», ce qui pose une problématique de taille pour la subsistance des populations futures. Surtout si l’on considère que le XXIe siècle sera marqué par des épisodes climatiques extrêmes, annonçant ainsi des sécheresses plus fréquentes et plus longues.

A ce sujet, le professeur Bouchta El Fellah, géographe à l’Institut scientifique de l’Université Mohammed V-Agdal, explique que «l’impact des changements climatiques se sent à travers les dérèglements qui s’opèrent en termes de fluctuations interannuelles, que ce soit pour les températures ou les pluies. Le Maroc n’échappe malheureusement pas au phénomène». Pour l’expert, la situation est très inquiétante, «la Maâmora, la plus grande subéraie du monde, à l’arrière-pays de Rabat et de Kénitra, est en train d’être fossilisée. Alors que l’arganeraie du sud-ouest a perdu 750.000 ha en un siècle!», s’alarme le chercheur marocain. Même discours chez les chercheurs français. Pour Marc Bied-Charreton, président du Comité scientifique français sur la désertification (CSFD), «il faut faire comprendre que la protection de l’environnement, ce n’est pas seulement la limitation des gaz à effet de serre, ou la protection de la biodiversité. Mais c’est aussi une agriculture, une foresterie et un élevage plus productifs et plus protecteurs de l’environnement».

En effet, l’absence d’adaptation des systèmes d’agriculture et d’élevage handicape fortement les opérations de prévention contre la désertification. Les sols s’épuisent sous le coup d’une productivité de plus en plus intensive, la désertification jouant sur la fertilité de ces derniers. «On considère qu’une terre est désertifiée quand il ne reste que 10 ou 15% de végétation sur le sol. Il n’y a plus d’arbres ni d’arbustes, seulement du sable et des cailloux», précise l’agroéconomiste Bied-Charreton. En effet, quand la végétation disparaît, le sol perd sa capacité de rétention d’eau. Le ruissellement emporte la terre et il n’y a plus de graines dans les sols. «On observe dès aujourd’hui une baisse des rendements en sorgho et en coton. Pour compenser cette tendance, les paysans augmentent les superficies cultivées. Ils résorbent leurs problèmes pour une année, mais ils réintroduisent le cycle de la désertification sur de nouvelles terres», explique le directeur du CSFD.

La désertification alimente les mouvements migratoires, et participe ainsi aux gonflements des bidonvilles par des familles de paysans à la recherche d’eau. Le Maroc connaît bien ce problème, dans les périphéries des grandes villes comme à l’intérieur. De nombreux défis s’imposent alors au gouvernement, pour accueillir ces populations (création d’infrastructures et d’habitat, accès aux soins et à l’éducation…), sans compter les défis sociaux d’intégration. Le dernier rapport de l’Unicef est d’ailleurs alarmant sur ce sujet, avec au Maroc 5% des enfants de moins de 5 ans qui meurent chaque année. «Malgré la tendance à l’urbanisation (50/50 en 2000 contre 70/30 en 1970), le poids de la démographie dans la campagne marocaine exerce toujours ses contraintes sur les ressources naturelles», explique El Fellah. De nombreux mouvements migratoires de l’Afrique subsaharienne vers le Maghreb et l’Europe sont une des conséquences directes de la désertification. Alors que la solution serait que les villageois apprennent à se développer autrement en restant dans leur village. Marc Bied-Charreton prévient «si l’on suit ces tendances au lieu de changer les techniques agricoles, on risque d’aboutir à des crises sociales terribles».

Pourtant, selon l’avis de tous les experts, améliorer la gestion de l’eau et des techniques agricoles serait une entreprise simple et assez peu coûteuse. Que ce soit avec des petits murets de pierre, des diguettes ou autres retenues, le tout serait d’empêcher l’eau de partir. «Même avec un peu d’eau, quand la végétation commence à recoloniser le sol, on stoppe la spirale. Au bout de 3 ou 4 ans, le sol est enrichi en matière organique, et on peut envisager de réimplanter une agriculture. Il faut juste un peu d’engrais», poursuit le directeur du CSFD. Cependant, ce que ce dernier appelle une pratique peu coûteuse s’élève tout de même à 300, voire 400 dollars par hectare et par an (soit 2.700 à 3.400 DH). Une somme certes modeste pour investir dans un meilleur avenir, mais qui reste dans l’immédiat un investissement lourd pour la majorité des agriculteurs marocains. Une solution serait que les pouvoirs publics prennent ces frais en charge, le temps que les agriculteurs puissent s’autofinancer avec les premiers retours sur investissement. Mais, comme le rappelle non sans amertume le chercheur, «les gouvernements des pays concernés ont d’autres priorités, les masses rurales sont ignorées. C’est la part de l’émeute urbaine qui domine». Phénomène complexe, la désertification touche particulièrement le Maroc qui occupe la frange septentrionale du plus grand désert du monde: le Sahara.

Un Plan d’action depuis 7 ans

Un Programme d’action national de lutte contre la désertification (PAN-LCD) a été élaboré et adopté en juin 2001. Un système de suivi-évaluation est lancé en 2003.

Selon Ghanam des Eaux et Forêts, «31.000 hectares de forêts sont dégradés chaque année, nous reboisons plus, mais nous n’atteignons pas encore notre objectif de 50.000 hectares par an. Dans le domaine de la lutte contre l’ensablement dans les régions du sud, nous construisons des barrières et nous plantons des dunes à hauteur de 1.000 hectares par an. Depuis le début du PAN-LCD, nous avons lutté contre l’ensablement sur à peu près 34.000 hectares».

Pour mobiliser et acheminer les ressources nécessaires au financement de ces programmes, Ghanam précise que «les ressources financières disponibles au niveau interne s’estiment à près de 700 millions de dirhams par année, auxquelles il faut ajouter les fonds des partenaires».

Najlae Naaoumi
Source: L'Economiste

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