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Maroc: Les islamistes dans la nouvelle donne

Le renouvellement des instances de la Chambre des représentants attise les convoitises. Le PJD (Parti de la justice et du développement), la seule formation islamique reconnue officiellement sur la scène marocaine, fourbit d’ores et déjà ses armes et prépare sa nouvelle percée. Quelle sera sa marge de manœuvre et jusqu’où les autres coalitions politiques le laisseront empiéter sur leur terrain ?


Dans son discours du trône, prononcé le 30 juillet dernier, le roi Mohammed VI avait tracé les contours et les orientations de la nouvelle loi qui nourrissaient déjà les débats au sein des groupes parlementaires. A l’ouverture de la troisième année législative, le 8octobre dernier, le souverain marocain a souligné la nécessité de renforcer le rôle des partis politiques. Un message qui, selon les observateurs, est on ne peut plus clair : le champ politique doit accélérer sa “mise à niveau”. La raison : la faible performance affichée, depuis des années, par les grandes coalitions au sein du Parlement. Excepté le PJD, qui ne cesse d’envahir la scène, malgré les tentatives officieuses de la part du ministère de l’Intérieur de contenir sa poussée. Dans ce contexte, force est de noter que ce dernier a forcé la main au mouvement islamique, dont la stratégie n’intègre pas toujours la pratique de l’opposition parlementaire.

Malgré les concessions répétées, le profil bas adopté, le seul parti islamique représenté au Parlement n’en continue pas moins à consolider ses positions et à investir le champ politique et populaire en profondeur. Il profite aussi bien de la faiblesse chronique de ses concurrents politiques que de l’absence, en interne, de véritables débats démocratiques. Un leitmotiv revient à chaque prise de parole du secrétaire général du PJD, Saâdeddine al-Othmani : “Chez nous, tout problème est tranché dans un climat de démocratie et dans la transparence.” Ce qui sous-entend que ces pratiques sont inexistantes dans les grandes familles politiques marocaines concurrentes. Ces dernières – qui, de plus, souffrent actuellement de forts tiraillements au niveau des dirigeants et de blocages entravant la venue de nouveaux leaders émanant de la deuxième génération – doivent se mobiliser d’urgence pour balayer devant leur porte, soigner leur image et introduire les réformes nécessaires.

Dans ce contexte, le PJD manœuvre tout en maintenant un contact réel avec sa base. De plus, récupérer les contestataires qui ont quitté leurs partis pour une raison ou pour une autre. Ainsi, ce mouvement islamique fait, de plus en plus, ses preuves, et toutes les campagnes de dénigrement menées aussi bien par les partis politiques de la place que par les formations concurrentes islamiques telles qu’Al-Adl Oual Ihsane, d’Abdesslam Yassine, n’ont jamais atteint leurs objectifs. Car le PJD a prouvé sur le terrain qu’il possède les réseaux militants les plus organisés et les plus disciplinés au Maroc. Et qu’il a la meilleure élite politique, qui ne cesse d’étonner les ténors du pouvoir par son habileté à négocier, en acceptant de jouer le jeu dans les règles imposées.

L’exemple donné par le PJD en matière d’organisation, d’éthique démocratique et sur le plan des choix politiques inquiète certains milieux au sein du pouvoir marocain, au point qu’on tente de diaboliser ce mouvement qui monte en flèche en dépit des tentatives d’endiguement. Dans les salons politiques de Rabat et de Casablanca, on tire la sonnette d’alarme. On parle de la nécessité de barrer la route à ce parti islamiste qui travaille avec acharnement pour “voler” les élections législatives de 2007. Ce parti, dont le représentant de l’aile dure, Mustapha Ramid, ne mâche pas ses mots en répétant explicitement qu’il est temps de “démanteler le gouvernement actuel de Driss Jettou, afin de bien organiser l’échéance de 2007”. “Donner la liberté d’action au PJD avec ce que cela comporte comme imprévisible voire comme risques, c’est danser avec les loups”, précisent les dirigeants des grands partis. Un constat catégoriquement rejeté par une partie de la classe politique, qui cependant ne cache pas sa crainte d’un succès consolidé du PJD.
Ce dernier, qui a fait son entrée au Parlement depuis 1997 avec douze députés, soutenait à l’époque le gouvernement d’alternance, dirigé par Abderrahmane Youssoufi, tout en restant critique. “Une démarche payante”, reconnaît Abbas Al-Fassi, le secrétaire général du parti Al-Istiqlal, qui considère que le PJD a accompagné l’ouverture politique qu’a connue le Maroc depuis. Le changement de cap, adopté en 2000 par ce mouvement islamique, lui a permis d’arracher certaines grandes villes aux partis historiques, en haussant le ton à plusieurs reprises, critiquant certaines décisions impopulaires du gouvernement en place. Ce qui a fini par renforcer sa popularité. “Il n’est pas loin de se positionner comme la première force politique du pays malgré les obstacles mis sur son chemin”, remarque un rapport établi par les services concernés auprès du ministère de l’Intérieur.

Si la discipline et l’esprit démocratique constituent la réelle force de frappe du PJD, cela n’est pas le cas pour les autres courants islamiques. Ceux-ci, malgré leur ancienneté, n’ont pas réussi à intégrer le système. Les permanentes surenchères au sein de la classe dirigeante de ces mouvements islamiques ont fini par les empêcher de se positionner sur l’échiquier politique. D’autant plus que l’exécution sans discuter des consignes des guides spirituels est à l’origine de scissions et de l’émergence de clans ; l’exemple le plus éloquent en est celui d’Al-Adl Oual Ihsane, où tout le leadership est déjà entré en guéguerre pour succéder à Cheikh Abdesslam Yassine, très malade depuis quelques années. Cette organisation, qui tenait le haut du pavé avant l’arrivée en force sur la scène du PJD –né d’une unification de plusieurs mouvances islamiques –, ne constitue plus comme avant une sérieuse menace pour le pouvoir marocain.
Son affaiblissement se ressent nettement, notamment dans ses fiefs traditionnels. Une occasion pour le PJD de sauter sur l’occasion et d’affirmer qu’il est non seulement une école qui a la capacité de s’adapter aux nouvelles donnes, mais aussi un parti qui défend des convictions. Pour ce qui est des groupuscules du courant salafiste, les analystes politiques marocains spécialistes de la question estiment que cette mouvance n’a aucune chance de faire de réelles percées, ni aujourd’hui ni demain. Et que toute spéculation de la part de certains observateurs occidentaux, français en tête, sur ce courant reste vaine.

Jusqu’à présent, le PJD reste le seul parti du courant islamique marocain modéré. Ce dernier tient à ce que ce parti le représente au Parlement et dans toutes les autres instances. Souhait que les dirigeants du PJD ont très bien compris et dont ils ont analysé la portée socio-économique. Ils réagiront donc en conséquence sans brûler les étapes ni provoquer les coalitions politiques existantes. Le plus important restant de persuader le pouvoir, plus particulièrement la monarchie, que le PJD est parmi les formations politiques les plus loyales dans le pays. Toutefois, il ne pourra pas prendre de distances avec sa base si survient un évènement majeur en contradiction avec ses idées fondamentales. Et cela risque d’être le cas avec le prochain sommet qui se tiendra au Maroc en décembre 2004 sur les réformes dans le monde arabe.

Profil bas

En tout état de cause, en dépit du profil bas tactique adopté par le PJD, préférant tempérer et éviter toute confrontation avec le pouvoir, les dirigeants de ce mouvement islamique, qui se présente comme étant du “centre”, doit éclaircir ses positions. Notamment, à l’égard des injonctions du roi portant sur la “séparation qui doit être faite entre le religieux et le politique”. Et, de là, répondre à la question sur le fait que, sous la monarchie constitutionnelle marocaine, religion et politique ne sont réunies qu’au niveau de la personne du roi. Jusqu’ici, le PJD ne conteste pas cette thèse. Mieux encore, son député au Parlement, Abdel Ilah Benkirane, faisant montre d’un sens de l’opportunisme inégalé, est allé dans ce sens en affirmant dans une émission de télévision : “Sa Majesté le roi du Maroc représente l’unanimité de la nation.”

Par: NOUREDDINE BENNANI
Source: Afrique-Asie

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