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Les vraies raisons de l’inertie parlementaire

Plus de 80% du budget sont dépensés en salaires. Pas de locaux, pas d’experts, pas de moyens. Seules 3% des lois transitant par le Parlement émanent de ce dernier. Un processus d’adoption trop long.

Mercredi 24 mai dernier a vu la traditionnelle séance des questions orales dégénérer en confrontation entre le ministre istiqlalien des Relations avec le Parlement, Mohamed Saad El Alami, et les députés du PJD. Sous l’œil de la caméra, les islamistes sont montés au créneau. Motif ? Selon eux, plus de 140 de leurs questions écrites auraient été ignorées. En face, le ministre a répliqué en révélant l’aspect personnel ou trivial de certaines. Les deux parties en sont très vite arrivées aux insultes.

Le gouvernement favorise-t-il ses projets de loi au détriment des propositions des parlementaires ?
Après avoir abandonné l’idée d’une alliance, l’Istiqlal et le PJD sont-ils en train de régler leurs comptes ? Peu importe. Ce débat ne concerne qu’un des aspects d’une problématique plus large, celle du rendement réel du Parlement. Parmi les lois qui ont transité par ce dernier, combien ont été initiées par les parlementaires?

Interrogés, les députés avouent que cette institution au rôle essentiellement législatif n’est à l’origine, selon leurs estimations, que de 3% des lois votées, tandis que le reste consiste en des textes d’origine gouvernementale. Ainsi, selon les parlementaires, seules «deux ou trois» propositions de loi sont en cours d’examen aujourd’hui. Un chiffre très bas, mais que l’on pourrait voir augmenter dans les six mois précédant les élections, explique Bouchra El Khyari, députée FFD et membre de l’Association des femmes parlementaires. Il faut dire que si le circuit de la proposition de loi est beaucoup plus simple, par définition, que celui du projet, ce dernier est prioritaire, et c’est au gouvernement qu’il appartient de déterminer l’ordre du jour. Le gouvernement favorise-t-il son propre travail au détriment de celui des représentants du peuple? Chez ces derniers, on n’est pas loin du ras-le-bol. «J’ai recommandé d’agir par une application stricte du règlement interne. Ce dernier stipule que lorsqu’une commission est saisie par une proposition de loi, après dix mois, cette proposition peut être soumise directement à la discussion et à l’approbation dans une séance plénière», explique Abdelhamid Aouad, chef du groupe parlementaire de l’Istiqlal qui appartient pourtant à un parti de la majorité, et, a priori, censé être favorisé par rapport aux autres.

Pourtant, même si les projets de loi du gouvernement sont les plus nombreux à se transformer en lois, leurs initiateurs ne sont pas satisfaits de la performance du Parlement. Leurs textes ont beau être prioritaires, le processus de mise en place est très long, particulièrement quand le texte doit passer au Parlement. En effet, face à des commissions souveraines relevant des Chambres des représentants et des conseillers, les ministres peuvent tout au plus expliquer et chercher à convaincre les commissions. Ils devront ainsi rester sur le qui-vive tandis que leurs textes transitent par les commissions puis les séances plénières de chacune des deux Chambres du Parlement, sans compter les allers et retours entre les deux Chambres jusqu’à ce que ces dernières valident une seule et même version de la loi.

A quoi ont servi les 442 MDH du budget 2006 ?
Le processus est tellement lourd que certains parlementaires se plaignent d’avoir dû renoncer à leurs amendements à cause de la perte de temps qu’un nouveau passage à l’autre Chambre pourrait impliquer. Du côté du gouvernement, on se plaint de faire le même travail deux fois auprès du Parlement.

Ainsi, malgré le nombre record de lois votées durant la législature précédente, le Parlement ne satisfait pas. Mais a-t-il les moyens de s’améliorer ? Doté d’un budget de 442 MDH accordé au titre de l’année 2006, le Parlement doit, par définition, et entre autres missions, participer au travail législatif ou mener des actions de diplomatie parlementaire. Pour cela, cette institution dispose de 600 parlementaires (275 conseillers, 325 représentants) lesquels sont soutenus par des employés du Parlement politiquement neutres. L’appareil semble assez imposant, mais les parlementaires interrogés se plaignent systématiquement de ne pas bénéficier de conditions de travail adéquates. Il faut avouer que les frais de personnel laissent peu de place au reste : 83,9% du budget de la première Chambre et 89,6% pour la deuxième, tandis que le matériel et les dépenses diverses n’ont droit qu’à 16,1% et 10,4%. «Le seul privilégié (et encore !), c’est le président de commission, qui a droit à une chaise mais pas à un bureau. Pour remplir son rôle, il doit utiliser le bureau du secrétariat», déclare ironiquement Ahmed Laâmarti, parlementaire RNI. «Le parlementaire, d’une façon générale, n’a droit à rien, proteste-t-il. Il se débrouille tout seul avec les moyens du bord». Ainsi, les parlementaires ne disposent pas de locaux pour travailler. Ils peuvent, certes, téléphoner, mais seulement à l’intérieur du pays. Internet, quant à lui, relève encore de la science-fiction.

Côté personnel, le départ volontaire a laissé sa marque. «Des fonctionnaires fantômes?», ironise un employé de la première Chambre, mais si on en trouvait, on serait les premiers à aller les chercher ! Il faut dire que les cadres qui travaillent avec les parlementaires sont dépassés, leurs effectifs étant beaucoup moins importants que dans d’autres pays. Mais les choses ne s’arrêtent pas là : s’il est un problème qui explique le volume ridicule des propositions de loi retenues par rapport aux projets, c’est avant tout l’accès des parlementaires aux connaissances nécessaires pour faire leur travail. Des moyens qui ne leur permettent pas, évidemment, de rivaliser avec le gouvernement. Celui-ci, avec ses experts et ses moyens financiers, se trouve être naturellement mieux outillé pour produire des lois adéquates. Le gouvernement profite-t-il de ce manque d’expertise du Parlement ? Certains parlementaires le pensent, et, par méfiance, ralentissent encore plus le processus.

Le gouvernement est mieux outillé
«Il est presque impossible qu’un député aujourd’hui puisse discuter au sein de la même commission dix lois durant une semaine avec son propre background, avec ses propres connaissances, et sans être obligé de recourir à des spécialistes et écouter des spécialistes pour venir et défendre l’avis des spécialistes contre les spécialistes», reconnaît un ministre.

Dans cette situation, les députés appellent leurs partis à la rescousse. «Nous nous contentons de réunir les experts du parti et des volontaires et nous discutons des thèmes dans lesquels ils sont spécialisés. Parfois, nous organisons des journées d’études,et nous faisons appel à des experts extérieurs au parti», explique Abdellah Baha, chef de groupe du PJD à la Chambre des représentants.
Ils ne sont pas les seuls. Certains, à l’instar du FFD, sont même allés jusqu’à employer deux cadres au sein du Parlement, aux côtés de ceux qui leur ont été fournis par ce dernier. Mais tout cela requiert des moyens financiers, ce qui introduit forcément une dichotomie entre les partis riches ou importants et les autres. Certains considèrent ainsi que les partis de la majorité disposent d’un double canal pour faire passer leurs lois : via le Parlement, et via leurs ministres. Un avantage qui disparaît très vite dès qu’un texte suscite un débat au sein de cette même majorité.

«Malheureusement, au sein de notre Parlement, nous manquons de savoir, donc on ne peut pas prétendre que nous avons le pouvoir», résume M. Laâmarti. Pour lui, «le pouvoir, il est entre les mains de l’exécutif qui a les fonctionnaires, les moyens, de hauts cadres. Il est donc tout à fait naturel que l’Etat soit toujours le vainqueur». Dans cette situation, les organismes internationaux peuvent devenir de petites bouées de secours pour les partis qui s’y accrochent : USAID, Banque mondiale, et, dans une moindre mesure, quelques ONG comme le National democratic institute (NDI). En aidant à financer certaines activités, en organisant des journées d’études, etc., ces dernières sont ainsi à l’origine d’initiatives comme la création de l’Association des femmes parlementaires au Maroc, qui transcende les frontières partisanes ou encore la toute récente Association des parlementaires arabes contre la corruption, créée à Rabat les 25 et 26 mai.

Pourtant, les solutions à la situation du Parlement ne se trouvent pas forcément en dehors de ce dernier. Hassan El Arifi, universitaire, considère, pour sa part, que le véritable problème du Parlement, aujourd’hui, réside dans l’absence de véritable politique législative, ce qui conduit certains parlementaires à présenter des lois les intéressant personnellement. D’autres sont en faveur d’un meilleur encadrement de manière à donner la priorité aux lois importantes. Avant le financement, les équipements ou l’accès aux experts, le Parlement n’aurait-il pas tout simplement et en définitive besoin de s’organiser ?

Houda Filali-Ansary
Source: La Vie Eco

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