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Affaire : Méli-mélo nucléaire à Maâmora

Accusé de vouloir stocker des déchets radioactifs dans le sol de la ville de Kénitra, le Centre national de l’énergie, des sciences et des techniques nucléaires (Cnesten) nous ouvre ses portes. Tout porte à croire qu’il s’agit d’une tempête dans un verre d’eau - mais de l’eau radioactive, peut-être.

Il n’y a aucun doute, à l’arrivée au site du CNESTEN, enfoui au plus profond de la forêt de la Maâmora, il y a cette impression de revivre l’ouverture d’un épisode de “X-Files”. Pour y accéder il faut longer la route de Rabat-Kénitra en direction de la forêt en passant par des
constructions en ruines (un spectacle qui n’est pas sans rappeler la Bosnie), puis surgit du néant un poste de gendarmerie. Les dispositifs de sécurité à l’entrée du site sont draconiens. Le message semble clair : le centre est bien gardé, les visiteurs encombrants ne sont pas les bienvenus.

Cri d’alerte
Pourquoi visiter ce site, à la limite du réel ? Parce que nous pouvons dire que le Maroc a désormais son “affaire nucléaire”. A en croire le cri d’alarme de Mohamed Ouhssine de l’Association marocaine de protection et d’orientation du consommateur (AMPOC) paru dans l’Economiste du vendredi 21 avril 2006, “la décision a été prise par un organisme de la région de Kénitra d’enfouir des déchets radioactifs dans le sol de la ville”. Cet organisme, bien sûr, est le CNESTEN. M. Ouhssine ajoute aussi : “mal maîtrisée, [cette opération] peut avoir des conséquences dramatiques sur les populations environnantes”. Dans la même page du quotidien, Abderrahmane Zeroual, président de la Confédération des associations de protection des consommateurs, parle même “d’effet Hiroshima” mettant en exergue les horreurs d’une possible contamination atomique. “Nous subissons toujours ce genre de réactions”, se lamente Itimad Soufi, responsable de la sécurité au CNESTEN : “Quand les gens entendent parler du nucléaire, deux choses leur viennent à l’esprit : Tchernobyl et la bombe”.

Tout ceci est-il vrai ? Des scientifiques mal intentionnés, seraient-ils en train de concocter un plan diabolique pour empoisonner la population innocente de Kénitra ? A cette suggestion Abdelmajid Saoui sourit, mais d’un sourire las : “Catégoriquement non !” Le secrétaire général du CNESTEN est on ne peut plus clair : “Il n’y aura pas un stockage de déchets radioactifs sous terre à Kénitra. Ni nulle part ailleurs au Maroc”.

De l’eau radioactive et “propre”
À l’origine de cette controverse, il y aurait un malentendu. Le CNESTEN s’apprête certes à jeter de l’eau légèrement radioactive dans l’Oued Sebou, dans une zone localisée entre le centre de la ville de Kénitra et la base locale de l’aviation militaire. Nul doute que l’endroit n’est pas approprié pour déverser de l’eau contaminée mais Abdelmajid Saoui le fait en toute bonne foi : “C’est tout simplement l’endroit le plus proche du site. L’essentiel, c’est que l’eau est propre, je pourrais même y nager !”

Propre ? Un rapport interne du centre démontre qu’après une purification rigoureuse de l’eau, celle-ci reste contaminée à hauteur de seulement 0,3%, soit dans la limite réglementaire. Des études effectuées par la Commission nationale de la sûreté nucléaire et le ministère de l’environnement paraissent confirmer les résultats de ce rapport.

Abdelmajid Saoui en est convaincu, selon lui, “la rivière elle-même est beaucoup plus contaminée par d’autres agents que l’eau que nous y déversons. C’est tout à fait normal que la population s’inquiète, mais il est aussi important de savoir de quoi on parle exactement : 10 mètres cubes d’eau pratiquement propre par mois. C’est rien !”.

Une balade autour du CNESTEN donne l’impression d’un site à la pointe de la technologie, où chacun sait ce qu’il a à faire. La sécurité semble être prioritaire. Au sein du laboratoire, les salles sont peintes de couleurs différentes, le blanc indique qu’il n’y a pas de danger de radiation, puis le vert, le jaune et ainsi de suite… Dans l’un des buildings du centre, les effets des travaux du centre sur l’environnement local sont surveillés et vérifiés 24h/24, une deuxième fois vérifiés, puis une autre fois… “Nous nous conformons facilement aux normes de l’Agence internationale de l’agence atomique”. ajoute fièrement Mme Soufi.

Les politiques noient le poisson
Alors pourquoi toute cette affaire ? Selon un expert de la politique locale de la ville de Kénitra : “Le problème n’est pas réellement lié aux déchets nucléaires. Il existe un conflit entre l’opposition dirigée par le PJD et le président de la commune, Mohammed Talmoust. Le PJD tente de nous faire croire qu’il y a un nouveau Tchernobyl à nos portes mais tout ceci est un faux problème”. Toujours selon le même expert qui veut rester anonyme : “Il y a une guerre ouverte entre les partis, le réel problème réside dans la gestion catastrophique des décharges publiques par M. Talmoust, dont les conséquences sont graves pour la santé des habitants de Kénitra. Le PJD a récupéré le dossier du nucléaire pour attirer l’attention du public sur le vrai problème”.

Par ailleurs, Aziz Rabah le leader local du PJD admet que le fait de décharger de l’eau par le CNESTEN dans l’Oued Sebou ne serait pas exactement le seul problème à Kénitra. En fait, posez des questions à ce dernier sur les erreurs que les autorités locales commettent, il vous dressera une longue liste où les déchets nucléaires n’apparaissent nulle part : inégalités sociales, carence des transports publics, manque de transparence et – évidemment – les décharges publiques. Au fond, l’affaire du CNESTEN ne paraît pas déranger M. Rabah tant que ça. Elle lui a servi de détonateur. Aujourd’hui, il passe à l’essentiel. C'est-à-dire, “Nommez un service public dans notre ville. Et je vous montrerai les failles. Rien ne marche à Kénitra”, se plaint l’élu PJDiste.

Le citoyen, toujours vigilant
Et Mohamed Ouhssine de AMPOC-Kénitra, auteur du fameux article dans l’Economiste ? Il n’en démord pas. Il accuse le CNESTEN de déficit de communication : “Il faut qu’ils nous parlent ! S’ils arrivent à nous convaincre que ce qu’ils font n’est pas dangereux, alors pas de problème !” Mais il reste suspicieux : “Comment pourrais-je les croire ? Ce sont eux les producteurs ! Comment être sûr qu’ils n’enterrent pas leurs déchets radioactifs dans notre sol ? C’est notre devoir de protéger la population”.

Cependant, dans son article, ce même Ouhssine parle plus des déchets en général que de ceux attribués au centre nucléaire. Autrement dit, ce sont véritablement les décharges publiques qui sont en cause dans cette affaire. Affaire qui ressemble par trop à une tempête dans un verre d’eau. De l’eau radioactive ? Peut-être, mais pas trop...


Laboratoire. à quoi sert le CNESTEN ?

La fondation du Centre national de l’énergie, des sciences et des techniques nucléaires (CNESTEN) remonte à 1986, mais les ambitions du Maroc en matière d’énergie nucléaire remontent à beaucoup plus loin, aux années 60, peu après l’indépendance. Après la crise pétrolière de 1973, Hassan II avait commencé à réfléchir sérieusement à l’énergie nucléaire comme alternative possible aux combustibles fossiles. L’idée d’une installation nucléaire pour la production d’électricité (devant être construite entre Essaouira et Safi) est solidement développée depuis les années 80. Enfoui profondément dans la forêt au nord-est de Rabat, le Centre d’études nucléaires de la Maâmora (CENM), laboratoire du CNESTEN, a ouvert ses portes en 2003. Ce centre de recherche High-tech, s’étend sur une surface de 25 hectares et emploie 200 personnes dont la moitié sont des scientifiques. Leur mission : la recherche au niveau de l’application de la technologie nucléaire dans différents secteurs comme l’industrie, la médecine, l’agriculture et l’environnement. Une autre activité importante : la faisabilité du traitement et le stockage de ses propre déchets nucléaires et de ceux d’autres structures, tels que les hôpitaux et les universités.

Source : TelQuel

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