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Code de la famille. Repenser l’héritage

Après l'égalité au sein du couple, certaines associations féminines entendent s'attaquer à l'égalité dans le domaine de l'héritage. Dans la réalité, des abus rendent ce réglage nécessaire. Mais les gardiens de l'orthodoxie s'y opposent. Et la bataille ne fait que commencer.

Taboue jusqu'à présent, la question de l'héritage, induisant un partage inéquitable entre enfants de sexes opposés, sera abordée publiquement pour la toute première fois au Maroc dans les prochaines semaines. Des associations féminines entendent s'attaquer à ce que même certains militants de l'égalité entre les deux sexes estimaient comme inattaquable. La preuve, même si la Moudawana dernière version a introduit des concepts aussi fondamentaux et révolutionnaires que l'égalité entre conjoints, le volet relatif à l'héritage n'a pas du tout été abordé. Sauf en ce qui concerne le “legs obligatoire”. Cette semi-réforme, exceptionnelle en soi ,concerne l'article 377 du Code de la famille. Dans le troisième paragraphe, il est indiqué que “la famille a la garde de l'ensemble des équipements recensés par le liquidateur jusqu'à ce que la passation dans le cadre de l'héritage ait lieu. La famille a aussi à charge d'entretenir ces biens”. Une première brèche est ouverte.

La loi de Dieu et le drame des humains
La réalité va plus vite que la loi. Des plaintes exprimées par des mères de famille ont été enregistrées au niveau des QG de plusieurs associations. Régulièrement, à la Ligue démocratique des droits des femmes (LDDF), des femmes, veuves, viennent demander “que justice soit faite”. Motif : l'inégalité flagrante dans le partage des biens. Curieusement, ce ne sont pas les frères et sœurs (règle du un tiers, deux tiers) qui sont mis en cause. C'est surtout l'intervention des oncles, voire des cousins dans le partage, lorsque les héritiers sont toutes des filles, ce qui engendre des abus sans fin. Il est vrai que la charia le stipule : “lorsque les héritiers sont tous de sexe féminin, les oncles paternels disposent du droit de jouir d'une partie des biens. Lorsqu'il n'y a aucun oncle, ce sont les parents de sexe masculin qui disposent de ce droit”. Cette autorisation religieuse complique les choses. Ces proches parents mâles deviennent escrocs au nom de la loi divine. Aujourd'hui, ces associations peuvent-elles s'attaquer de façon aussi frontale à l'épineuse question du partage de l'héritage ? Pas forcément aussi directement, pour ne pas “s'attirer d'emblée les foudres des conservateurs”, comme celles des oulémas. Force conservatrice du pays, ces derniers sont catégoriques. L'héritage est légiféré par des textes coraniques clairs et sans ambiguïté. Mohamed Mezhrani, membre de leur conseil national, matraque qu'aucune jurisprudence n'est permise en présence des textes du Coran. En d'autres termes, aucune lecture moderne ne serait envisageable. Pour certains oulémas faisant partie des instances officielles consultées et plus amènes à s'adapter au contexte présent, la question n'est pas encore à l'ordre du jour. “Le seul point discuté au cours de l'élaboration de la Moudawana concerne le legs obligatoire”, confie Nezha Guessous, membre de la commission royale en charge du Code de la famille. Zhor El Horr, qui faisait aussi partie de cette commission, le confirme : “Les féministes ont accordé la priorité aux autres problèmes, probablement pour ne pas retarder les réformes qui allaient être entreprises”, précise-t-elle. La réforme de l'héritage serait donc juste une histoire de temps. Déjà, des signaux avant-coureurs sont là. Des oulémas, qui écartent une révision moderniste des textes, ne voient pas de mal à ce que les parents répartissent leurs biens entre leurs enfants de leur vivant, pour éviter l'irréparable.

Des lois contournées avant la mort
Nonobstant cette autorisation des autorités religieuses, les lois célestes sont contournées au quotidien. “Nous assistons de plus en plus au partage des biens du vivant des parents”, explique un avocat. Serait-ce en train de devenir un phénomène de société ? “La loi aurait dû résoudre ce problème, estime la présidente d'une association féminine. Faute de quoi, les gens cherchent le moyen le moins risqué de contourner la législation”. Ils y sont à vrai dire contraints. La transformation de l'organisation de la famille, devenue mononucléaire, rend l'immixtion des oncles et cousins, sur l'héritage, socialement obsolète. La société étant en avance par rapport à la charia, “nous ne faisons que reporter une problématique qui finira bien par éclater”, estime cette militante. Entre-temps, le nombre de parents qui procèdent à ce type de partage grandit. Un certain Mohamed Bennani déclare publiquement avoir réglé le problème de son vivant. Bigame, ayant eu trois filles de sa deuxième femme, milliardaire, il a procédé à la répartition de ses biens en effectuant des ventes fictives. Ces transactions lui ont ainsi permis de garantir un partage équitable.

“La personne dispose de trois possibilités : vendre, léguer ou offrir”, explique un juriste. Samir A. a lui aussi contourné la loi en vendant à sa fille sa maison de son vivant. Même les plus croyants restent sceptiques dès lors qu'il s'agit de l'égalité du traitement de leurs enfants. L'émancipation de la femme au sein de la société a connu certes des pas de géant mais certainement pas assez grands pour la considérer comme l'égale de l'homme. L'explication, donnée jusque-là pour montrer que l'héritage fait l'exception, est connue de tous : “La fille héritera de la moitié de la valeur héritée par le garçon parce qu'elle est prise en charge économiquement par le frère ou l'époux”. Aujourd'hui, cette logique économique inéquitable ne semble plus tenir la route.

Plusieurs féministes se demandent si le roi Mohammed VI aura la même audace que lorsqu'il a tranché en faveur de l'égalité dans le couple. “Il faut nuancer car l'intervention du roi dans le dossier de la Moudawana a été très subtile. A aucun moment un fondement religieux n'a été touché”, confie un membre de la commission. Ceci dit, tôt ou tard, il faudra bien aborder la question de l'inégalité dans l'héritage. Les associations comptent à leur tour contourner le sujet sans le vider de sa substance. La présentation des revendications n'abordera pas l'héritage entre les frères et les sœurs mais plutôt celui entre oncles, cousins et filles d'un défunt. L'obstacle des textes coraniques est majeur. Autant dire qu'il faudra user de beaucoup de diplomatie pour que les choses puissent bouger.


Etude. La frilosité des associations
Sur les 80 associations qui ont été consultées pour l'élaboration de la Moudawana, deux à peine ont soulevé la question de l'héritage. Et pas dans sa totalité. Seul le cas de familles qui n'ont que des filles a été posé. Le sujet est-il aussi tabou que cela ? “Ces auditions sont intervenues quelque temps à peine après l'échec du plan d'intégration de la femme. Beaucoup d'amalgames ont été faits et les islamistes manipulaient l'opinion en expliquant que ces féministes voulaient changer les lois de Dieu”. Elles ont donc préféré donner la priorité à l'égalité dans le couple. Il ne faut pas oublier non plus que dans l'ensemble des pays musulmans l'idée de la sacralité des lois de l'islam est fortement répandue.


Ailleurs. L'ijtihad est possible
L’Irak et la Tunisie ont modifié certaines lois. Particulièrement pour les familles n'ayant pas d'héritiers masculins. Le paragraphe 2 de l'article 91 du code de la famille irakien stipule que “lorsqu'il n'y a que des héritières femmes, elles héritent de la totalité des biens”. L'article 143 bis du code tunisien dit exactement la même chose. Prenons au moins exemple sur nos coreligionnaires.

Source : TelQuel

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