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Le hijab, le Maroc et mes nuances

Dans un article paru dans le quotidien Le Monde, le 19 mai dernier, Catherine Simon constate la généralisation du port du voile au Maroc. Son constat est sans appel. Les phrases, tantôt épiques, tantôt sèches comme des couperets, décrivent la puissance du phénomène: «le hijab -le voile islamique- est devenu la règle». Et ce voile semble fonctionner pour Catherine Simon comme la pierre de touche d’une islamisation radicale. Le tableau ressemble dès lors à un paysage d’apocalypse, résultat d’un «vaste mouvement de bascule», d’une «révolution verte, couleur islam», qui a établi un domaine de «dépression nerveuse» étouffé par «l’emprise islamiste».

Nous voudrions apporter ici quelques nuances. D’abord, il faudrait s’interroger plus posément sur la signification du voile: est-il vraiment islamiste, témoigne-t-il d’un asservissement de la femme? Certes, Catherine Simon établit par moments une distinction entre le voile et le hijab. Mais cette distinction n’est jamais clairement formulée. Elle ne parle pas vraiment de ces autres voiles: voiles de femmes à la campagne qui sont les voiles du labeur; des sortes de fichu, foulards traditionnels des citadines des anciennes générations. Il faut également tracer une ligne de partage au sein de la catégorie du voile religieux: il y a un voile de l’Islam, symbole de foi, que la femme, grâce à sa liberté, décide de porter ou non, et le voile de l’islamisme.

Dynamique de résistance
Ce dernier, contrairement à ce qu’affirme Catherine Simon (elle parle d’une «emprise islamiste, avec ou sans représentation partisane»), est bien partisan: il obéit à des codes précis -il recouvre les épaules, et enserre le visage-, il a une histoire particulière -il s’est répandu dans le monde entier à partir de la révolution iranienne et avec le durcissement des conflits au Moyen-Orient-, et est éminemment politique. Or, dans l’article de Catherine Simon, tous ces voiles sont confusément impliqués.

Par ailleurs, de la même manière que le hijab n’est pas le seul type de voile porté au Maroc, l’islamisme n’est pas le seul phénomène notable de ces dernières décennies. Catherine Simon fait allusion, à la fin de son article, et par la bouche d’un professeur, aux «filles en minijupes ou hypermaquillées». Là encore, nous frôlons la caricature, car il faudrait tempérer ce manichéisme par le constat d’une véritable dynamique de résistance aux extrémismes.

Cette dynamique est vivante et profonde: elle se manifeste dans les festivals, au cinéma -le film Marock fait salle comble dans les villes marocaines, alors qu’on avait pu douter de sa sortie-, politiquement aussi grâce à la Moudouwana (réforme du code de la famille saluée par un édito du Monde comme une révolution), ou encore avec l’accès des femmes à de hauts postes de responsabilité, dans la police, au gouvernement, et même dans les mosquées.

La question du hijab au Maroc ne peut donc être traitée que si on a préalablement distingué les différents mouvements qui traversent la société marocaine. D’un côté, il y a les mouvements extérieurs, comme ceux de l’islamisation ou d’une parodie d’occidentalisation, qui n’ont de la révolution que la fulgurance du spectaculaire. De l’autre, des mouvements internes, portés par des associations, certains partis politiques, une jeunesse déterminée à la modernité, et qui sont ceux d’une évolution plus lente et plus mature vers la démocratie et les droits de l’homme.

Lamia Balafrej élève à l’Ecole normale supérieure à Paris
Source: L'Economiste

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