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Droits humains. L'AMDH répond à l'Etat

Le 10 mai à Genève, une délégation officielle défendait, devant une commission onusienne, le bilan marocain en matière d'égalité des sexes, de droits culturels, mais aussi de respect des droits au travail, au logement et à la santé. L'Amdh était également présente. Avec des conclusions différentes.

La délégation officielle, menée par Mohamed Bouzoubaâ, avait décidément un agenda chargé à Genève, en ce début mai. Coup sur coup, elle devait assister à l'élection du Maroc au prestigieux Conseil des droits de l'homme à l'ONU et présenter son rapport périodique sur les droits économiques et sociaux devant une commission onusienne spéciale. Si lors du premier exercice, nos officiels ont pu placer le pays loin devant ses voisins africains et arabes (le Maroc a été élu à l'unanimité), ils ont dû batailler pour défendre leur bilan socio-économique devant des experts onusiens avertis. L'exercice est encore nouveau. Même si le Maroc est signataire du pacte international des droits économiques et sociaux depuis 1976, il n'a présenté son premier rapport à l'ONU qu'en 1998 (voir encadré). Théoriquement, la délégation marocaine ne devait avoir aucun mal à “vendre” des projets et des institutions comme l'INDH, la Moudawana, l'IER ou l'IRCAM. Mais voilà, les officiels n'étaient pas seuls …

Un autre rapport, parallèle celui là, a particulièrement attiré l'attention des experts de la commission onusienne. Celui présenté par l'Association marocaine des droits humains (AMDH). Sur une soixantaine de pages, l'association humanitaire donne la réplique au gouvernement et livre une radioscopie lucide de l'état des droits économiques et sociaux des Marocains. “A Genève, les experts de la commission se basent sur les rapports parallèles de la société civile pour interpeller les gouvernements et relativiser leurs propos”, affirme Abdeljalil Laroussi, coordinateur du comité central des droits économiques, sociaux et culturels à l'AMDH, également présent à Genève.

La Constitution, pour commencer…
Dans son rapport parallèle, l'association de droits de l'homme commence par l'essentiel. Sans détours, elle fustige “une constitution en contradiction avec le système des droits humains… qui ne préconise pas de séparation des pouvoirs”. L'argument a fait mouche auprès des experts de l'ONU, qui ont rappelé aux officiels marocains “la nécessité de conformer les textes législatifs locaux aux engagements internationaux pris par le Maroc”. Quelques paragraphes plus loin, c'est l'épineuse question de l'égalité des sexes qui a monopolisé les débats au sein de la commission. Certes, la Moudawana est une petite révolution pour un pays arabe et musulman comme le Maroc, mais cet expert onusien ne comprend toujours pas qu'elle tolère la polygamie par exemple. Au lieu d'exposer toutes les restrictions que le texte met à cette pratique, le ministre de la Justice s'est perdu dans des explications religieuses et culturelles… complètement étrangères aux membres de la commission…

Le rapport de l'AMDH s'attaque ensuite à l'épineuse question du “droit au travail”. Côté officiel, la délégation a présenté, en détail, les institutions mises au niveau des préfectures et des régions pour la promotion de l'emploi, l'entrée en vigueur du nouveau code du travail, etc. Dans son rapport parallèle, L'AMDH relève, quant à elle, que le gouvernement n'a, par exemple, pas donné de chiffres concernant la création d'emplois au titre du budget annuel de l'Etat, dénonce le mutisme des officiels face aux licenciements collectifs des travailleurs et revient, devant la commission de l'ONU, sur les déboires d'agences comme l'ANAPEC, responsable entre autres du scandale d'Annajat. Voilà déjà ce qui relativise sérieusement les propos des officiels. “Nous ne sommes pas là pour saper les efforts de l'Etat mais pour jouer notre rôle de contre-pouvoir”, explique d'emblée un membre du comité central de l'AMDH.

Après l'égalité des sexes et le droit au travail, les experts de l'ONU se sont penchés sur les conditions de logement des Marocains. Là aussi, la délégation officielle n'a eu aucun mal à présenter les programmes, sérieux par ailleurs, lancés par l'Etat pour la résorption des bidonvilles et la connexion du plus grand nombre de logements aux réseaux d'eau et d'électricité. Soit, mais là aussi, l'AMDH a son mot à dire. Elle commence par les chiffres qui manquent au rapport officiel. Ceux des sans-abri et des cas d'expulsions forcées par exemple. Elle nuance ensuite les statistiques officielles expliquant que “le gouvernement ne fait aucune différence entre logement en dur et logement salubre et convenable”. L'AMDH en conclut que le déficit en logements atteint, selon ses critères, 1 240 000 unités. Nous sommes très loin des chiffres officiels. L'Association stigmatise également la création de ghettos dans les périphéries des villes, sans infrastructures éducatives, culturelles ou sanitaires.

La catastrophe sanitaire
La santé ? En voilà justement un sujet qui fâche. Les officiels ont eu beau exposer les programmes de vaccination ou de lutte contre la malnutrition et les maladies contagieuses, exposer, chiffres à l'appui, la croissance du nombre de médecins par habitant… l'association de droits de l'homme n'a eu aucun mal à mettre à nu “l'inefficacité et la non rentabilité du système de santé marocain”. Faible capacité d'accueil, non-disponibilité de plusieurs services de santé en dehors des grandes villes, faiblesse du budget alloué à la santé, etc. L'AMDH tire également la sonnette d'alarme concernant “la situation catastrophique de la santé mentale dans le pays”. 2000 lits d'hôpital en psychiatrie pour 30 millions d'habitants, le manque est flagrant.

Vient ensuite le rôle de la culture, véritable parent pauvre de toutes les politiques menées par les différents gouvernements. L'AMDH relève qu'il existe au Maroc une salle de théâtre pour un million d'habitants, 20 musées sur tout le pays et 6 villes seulement sur 33 ont été inscrites au patrimoine culturel de l'humanité. Ceci sans parler du manque flagrant de bibliothèques, de maisons de jeunes ou de culture, etc.

“Au bout de l'exposé marocain, explique un rédacteur du rapport parallèle, la commission des Nations unies a formulé des recommandations inspirées du rapport de l'AMDH et le Maroc s'est engagé à les respecter”. Que se passe-t-il en cas de non-respect de ces engagements ? “Un rapport est adressé à l'Assemblée générale des Nations unies, mais plus concrètement des organismes onusiens comme le PNUD ou l'UNICEF commencent à limiter leurs interventions dans le pays pour faire pression”, explique Laroussi.


Histoire. Jamais trop tard
En 1976, le Maroc ratifiait le pacte international des Nations unies, relatif aux droits économiques et sociaux. Le pays s'engageait ainsi, au pire de ses années noires, à assurer progressivement leurs droits économiques et sociaux (travail, santé, éducation, etc.) à tous les citoyens. En ratifiant ledit pacte, le pays s'engageait également à présenter un rapport sur le respect et la généralisation des dispositions de ce pacte tous les quatre ans, devant une commission onusienne spéciale. A l'époque, la manœuvre marocaine n'a trompé personne. “Il s'agissait de rassurer la communauté internationale quand le pays traversait une grave crise politique. C'était d'abord une déclaration de bonnes intentions”, explique un cadre ministériel. D'ailleurs, le pays prendra tout son temps et le premier rapport ne tombe, c'est assez révélateur, qu'à la fin des années 90. Depuis, le Maroc est régulier dans la présentation de ses rapports périodiques. L'AMDH aussi. En attendant que d'autres associations se joignent à elle.

Driss Bennani
Source: TelQuel

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