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Marocains de belgique: Francophone, une identité parmi d'autres

Il faut saluer la création d'une maison des cultures maroco-flamande à Bruxelles. Et tant pis pour ces politiques francophones, gênés de voir une partie de leur électorat ainsi convoitée.

Comment ne pas être heurté par les propos tenus par Madame Fadila Laanan, ministre de la Culture au gouvernement de la Communauté française, en réaction à la première pierre posée, ce 31 mai, par son homologue flamand, Bert Anciaux, en vue de créer une Maison des cultures maroco-flamande à l'ancien théâtre de la Gaieté, au centre de Bruxelles(1)?

Fadila Laanan, qui, de toute apparence, ne semble pas percevoir le vif intérêt de créer une telle maison des cultures du côté francophone, reproche de surcroît à Bert Anciaux de créer pareil centre à Bruxelles, parce que «les Marocains de Bruxelles sont majoritairement francophones» estime-elle, avant d'ajouter qu'il serait plus opportun de créer une telle maison «en Flandre». A Anvers, insiste-t-elle, se posent de sérieux problèmes de racisme et «les Marocains d'Anvers sont néerlandophones», pour enfin conclure à charge de Bert Anciaux de «faire une intégration forcée des Marocains de Bruxelles dans la Communauté flamande»(2).

D'entrée de jeu, qu'il me soit permis, moi qui ne suis pas Flamand, de saluer la création de cette Maison des cultures maroco-flamande qui favorisera, comme semblent vouloir ses promoteurs, la création de liens entre les différentes communautés de notre pays aux fins de lieux de rencontre, d'ouverture et de promotion des idées de tolérance, de liberté et d'égalité, surtout en ces moments difficiles. Initiative attendue depuis près de quarante ans qui participe à la promotion de l'identité et de la culture de l'une des plus importantes minorités culturelles de notre société - la communauté marocaine en l'occurrence, présente de manière significative en Belgique depuis les accords d'immigration de 1964.

La violente réaction de Fadila Laanan ne doit certainement pas être cautionnée par les acteurs associatifs et politiques francophones, sous prétexte d'une quelconque solidarité linguistique ou communautaire. En réalité, la réaction de Fadila Laanan est purement intéressée. Je m'explique.

En premier lieu, et d'un point de vue strictement légal, comment peut-on reprocher à un ministre néerlandophone de créer une Maison des cultures maroco-flamande, avec des subsides flamands sur le territoire de la capitale bilingue, Bruxelles; et ce, dans le respect de la Constitution et de nos institutions? Demander au ministre néerlandophone de la Culture, avec pareille arrogance, d'aller créer sa Maison ailleurs qu'à Bruxelles est d'abord un déni du droit de la Communauté flamande d'exercer ses attributions sur une capitale qui est aussi la leur. De plus et malheureusement, cela risque de conforter les Flamands dans leur préjugé selon lequel les responsables politiques francophones leur vouent un traditionnel mépris.

Ensuite et quand bien même les Marocains de Bruxelles, comme nous nomme ainsi Fadila Laanan, seraient-ils majoritairement francophones, ce n'est aucunement une raison pour les enfermer et les cloisonner dans sa seule culture francophone. Pour dire vrai, les Marocains de Bruxelles sont aussi arabophones, berbérophones pour certains, et surtout cosmopolites, ouverts sur toutes les autres cultures, surtout quand elles sont nationales, comme les cultures flamande et germanophone.

C'est aussi ça, l'interculturalité. Cette dernière commande à nos concitoyens, qu'ils soient d'origine marocaine ou pas, de connaître la culture, ou plus exactement les cultures de leur pays de naissance, d'adoption ou d'accueil, la Belgique. Car nous devons surtout éviter de tomber dans cette hypocrisie qui consiste à demander, à la fois, d'apprendre le néerlandais pour trouver un travail et de demeurer unilingue, figé et mono-communautaire en matière culturelle.

Par ailleurs, il faut beaucoup de culot à Fadila Laanan pour demander à Bert Anciaux de créer la Maison des cultures maroco-flamande à Anvers plutôt qu'à Bruxelles, puisque les Marocains de Bruxelles sont majoritairement francophones. Est-ce de cette manière que «notre» ministre de la Culture compte favoriser le dialogue entre entités fédérées, et la cohabitation entre les différentes communautés de notre pays? Une chose est sûre, ce n'est pas à Fadila Laanan de décider des choix culturels des Marocains de Bruxelles, en leur lieu et place. On en a marre de subir le paternalisme! Le raisonnement de Fadila Laanan la conduira en toute logique à demander prochainement au Musée d'art juif marocain de Bruxelles de déménager à New York ou ailleurs, sous prétexte que les Marocains de Bruxelles sont majoritairement musulmans. Que la Maison d'Amérique Latine, le Goethe Institut, le Centre culturel arabe et l'Institut Cervantes continuent à participer à l'essor et aux développements culturels de notre Région et de ses habitants, même si les Bruxellois, dans leur majorité, ne sont ni Latinos, ni Allemands, ni Arabes et ni Espagnols.

La réaction de Fadila Laanan me rappelle curieusement ces réflexes de type colonialiste, de certain(e)s femmes et hommes politiques de notre pays, qui continuent à traiter les communautés étrangères et surtout marocaine comme une propriété privée, un fonds de commerce et une mine électorale - comme quoi, nous n'évoluons pas avec des ministres d'origine étrangère. En somme, une chasse gardée qu'il convient d'isoler, d'encadrer et d'utiliser. Raison pour laquelle il faut les maintenir sous tutelle et empêcher par n'importe quel moyen toute intrusion qui viendrait perturber ce procédé, surtout si elle est politique et puisse être revendicative d'une partie de ce consistant et inépuisable gâteau électoral.

C'est essentiellement cela qui motive la réaction agressive de Fadila Laanan à l'égard de Bert Anciaux. Et pour cause, il y a danger: «la réserve est attaquée». Le seul fait que ce dernier puisse s'intéresser et s'adresser directement à la communauté marocaine de Bruxelles, en se donnant les moyens de ses ambitions à travers la création de cette Maison des cultures maroco-flamande, est considéré comme un franchissement de la ligne rouge, casus belli!

Il faut donc sortir les armes et protéger le «troupeau». La tâche est des plus simples d'autant plus que la machine de guerre est bien huilée: il faut diaboliser le Flamand. A l'Histoire, je tiens à rappeler que la diabolisation est l'une des prémisses du racisme et que, n'en déplaise à Fadila Laanan, les néerlandophones sont aussi nos concitoyens. Il est tout aussi légitime de s'ouvrir et de s'imprégner de leur culture, au même tire que la culture francophone, germanophone et toutes les autres cultures des communautés qui font le choix de s'établir dans notre pays uni dans sa diversité.

Mohammed TIJJINI
Acteur associatif francophone bruxellois, belge et marocain
Source: La Libre Belgique

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