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"Nous les immigrés, on est français quand on gagne le Mondial. Mais 15 jours après..."

Le rituel est désormais bien rodé. A chaque match de l'équipe de France en Coupe du monde, quelques jeunes de la cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) se retrouvent au coeur de la cité : ils installent une télévision dans la cour, au milieu des immeubles, et improvisent un barbecue collectif.

A chaque but français, des explosions de joie. Pour chaque victoire, de longs concerts de klaxons et, pour ceux qui disposent d'une voiture, la descente sur les Champs-Elysées afin de fêter Zidane et les siens. Dans ce quartier qui a connu des affrontements extrêmement violents pendant les émeutes d'octobre et de novembre 2005, le soutien à l'équipe de France ne fait aucun doute. Mais ne s'accompagne d'aucune illusion sur l'impact réel du football sur la société française.

Badir, 22 ans, par exemple, est à "200 %" derrière l'équipe de France. Ce vendredi 8 juillet, dans l'après-midi, le jeune homme traîne avec ses copains en bas d'un immeuble, à proximité d'un groupe d'enfants qui jouent au football parmi les déchets éparpillés : "Sarkozy, il dit : "La France, tu l'aimes ou tu la quittes !". Mais nous, on l'aime, surtout quand elle gagne, et on veut y rester." La présence de nombreux Noirs et maghrébins dans l'équipe finaliste est pour eux un incroyable motif de fierté. Une revanche sur une société qui leur semble cantonner habituellement aux seconds rôles les banlieusards des cités. "Cette équipe, c'est le tiers-monde, avec plein de Noirs et d'Arabes. Comme nous ! Et ils gagnent contre tous les autres", s'extasie Nordine, dit Nono, 20 ans.

COHABITATION DES IDENTITÉS
Certains se sont procuré des drapeaux français - ou algériens, pour célébrer le dieu Zidane - ou ont acheté le maillot bleu à un prix officiel (65 euros) qui ressemble pourtant à du racket. Rachid, lui, 21 ans, attend la finale pour se procurer la tunique bleue : "Je fais écrire "93" ou "3KS" (pour 3 "Keu$", c'est-à-dire 3 000, en référence au nom de la cité) dans le dos. Après, je vais au Maroc pour leur montrer !" Une histoire de maillot qui en dit long sur la cohabitation des identités : celle du quartier, la plus concrète, avec une forte solidarité au quotidien mais l'envie, pas toujours assumée publiquement, d'aller vivre ailleurs ; et l'identité française, qui fait hurler de joie lorsqu'un but est marqué mais qui semble disparaître aussitôt.

Car personne ne doute que la bulle sportive se dégonflera aussi vite qu'elle est apparue. "Nous les immigrés, on est français quand on gagne le Mondial. Mais 15 jours après, on n'est plus français : Chirac, Sarko et tous les autres nous oublient", explique Badir. Ses camarades acquiescent : "On se sent plus français pendant le Mondial, on est fiers, on aime bien la France. Mais le reste du temps, on s'en fout : ça va trop mal", complète Abdel, 20 ans, étudiant dans une école de commerce à Paris et symbole, aux yeux de ses voisins, de la réussite scolaire comme de la difficulté à s'insérer après des années d'études supérieures.

Très loin des illusions de la France "black, blanc, beur", ils stigmatisent un pays qui les valorise dans le sport mais se garde bien de leur faire de la place à l'Assemblée nationale. "En 2002, on a fait l'erreur de ne pas aller voter et Le Pen s'est retrouvé au deuxième tour. On ne ratera pas la prochaine élection présidentielle", prévient Sofiane, 20 ans, très fier de montrer la page du Parisien où figure son nom parmi les bacheliers de l'année. Un pays qui les incite à consommer, comme les autres. "Mais seulement en crédit, en dix fois sans frais", comme dit l'un d'entre eux. Dans ce contexte, plusieurs disent rêver de quitter la France. Aller au Canada par exemple ou en Grande-Bretagne, deux sociétés jugées plus ouvertes et plus dynamiques.

Ce désir de fuite ne signifie pas qu'il n'y ait plus d'espoir. Les émeutes, disent-ils, ont eu le mérite de rappeler l'existence des banlieues. Le football, ajoutent-ils, permet de montrer que les "racailles" sont utiles au pays. Reste le chômage, qui continue de noyer les cités sous la pauvreté. Et des rapports avec la police toujours aussi désastreux, où chacun se toise - la veille encore, une voiture a été incendiée à 50 mètres de là.

Badir pense savoir comment agir : "Tout ça, c'est la faute de l'Etat qui a enlevé l'autorité aux parents. Un gamin, aujourd'hui, il a plus peur des flics que de son père parce que les claques ont été interdites. Redonnez l'autorité, une vraie autorité, aux parents et ça ira mieux", conclut le jeune homme. Qui plébiscite l'idée popularisée par Ségolène Royal de faire appel à l'armée pour redonner de la discipline : "La prison ne fait plus peur à personne. A l'armée, tu te lèves à 4 heures et tu fermes ta gueule."

Source: Le Monde

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