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Les réseaux de la mendicité : «Mère» Fatna, la millionnaire

«Tout Homme est une âme qui marche», disait Bouddha. Mais tout un chacun a son but et son état d'âme. Et si les bouddhistes parcourent sans cesse les montagnes du Tibet pour s'approcher du monde divin, d'autres le font, ici dans les boulevards et rues du Royaume marocain, pour un but assez différent : «Mère» Fatna et ses mendiants traversent des kilomètres par jour à la conquête des sous. La bonne recette de «la manche» quotidienne fait d'un bon nombre de citoyens des mendiants professionnels. Et «ça marche» !

L'aube. Gare routière Ouled Ziane. Les quelques voyageurs matinaux se mêlent aux courtiers, porteurs, chauffeurs de taxis et aux nombreux SDF des lieux. Des «prostituées», désespérées la nuit, tentent leur dernière chance avec les nouveaux arrivés du petit matin. A cette heure matinale, l'univers est sordide. Une femme, la cinquantaine, crie de toutes ses forces. C'est Fatna qui, entourée de deux acolytes, sous les regards de tous, rassemble ses troupes. Des mères d'enfants d'origine modeste, munies de leurs progénitures à louer et que Fatna placera dans une équipe de mendiants «professionnels». Rien ne semble inquiéter la mère Fatna : «Je suis bien entourée. Et en plus j'ai acheté le marché avant d'y arriver», avoue-t-elle. De qui elle l'achète? A quel prix ? Peu importe. Ce qui compte c'est que « j'ai la meilleure équipe de la métropole», ajoute Fatna. Quinze bonnes femmes, trois hommes âgés, deux handicapés et une vingtaine d'enfants, à se partager entre les adultes de la bande. Tout un arsenal bien déguisé pour faire fortune. Et pas n'importe comment. La belle voiture de la patronne, ses bijoux et son vestimentaire la classent dans les rangs des fortunés. Et ça s'arrête là : «Ma vie privée m'appartient et ne vous regarde pas», rétorque-t-elle.

En professionnelle, Fatna refuse de mélanger le boulot et le personnel. Les quelques minutes du «briefing» quotidien sont consacrées au «dispatching» du staff de mendiants. Le casting des enfants ne dure, non plus, que peu de temps : «Un enfant est loué de 50 à 80 dirhams le jour. Les mères, payées à l'avance, récupèrent leur progéniture le soir à 19 heures», explique Hadj Sallam, un mendiant «professionnel». «Ces tarifs se multiplient, évidemment, le soir, les jours fériés et à l'occasion des fêtes religieuses où la commande des bébés atteint le pique.», affirme le vieil homme. D'après un autre, « Durant le mois de Ramadan, n'en parlons pas ! Un enfant peut être loué à plus de 250 dirhams le jour.» «Ce qui est normal dans un mois sacré où la recette du mendiant dépasse les 900 dirhams par jour», explique un agent de police, sous le sceau de l'anonymat. Le policier ne cache pas sa jalousie : «A ma retraite je ferai certainement comme eux. Ça me permettra de réaliser tous mes rêves», ricane le jeune flic.
Avec Fatna, il n'aura certainement pas de chance : Elle ne change que rarement son « personnel».Elle a confiance en eux : «Ils ont bien assimilé les tactiques et les codes utilisés sur le terrain». La concurrence de Fatna lui crée énormément de problèmes. «L'argent ne fait pas seulement que le bonheur, elle fait des miracles. En achetant cher le marché je mets mes mendiants hors danger et loin de toute contrainte », précise-t-elle.

Après avoir tout mis en ordre, Fatna invite son petit «troupeau» au petit déjeuner : La «Harira», soupe marocaine, fera l'affaire. «Une fois par mois, ils ont bien droit à une prime», dit-elle en rigolant. Elle ne leur laisse même pas le temps de la remercier. Fatna et ses gorilles quittent les lieux dans la discrétion totale.

Ailleurs, d'autres équipes l'attendent : 13 équipes à Casablanca, 8 à Rabat, 2 à Settat et à El Jadida, une à Mohammedia et une dernière à Berrechid. La grande patronne de la «manche» prospecte, depuis deux mois, les marchés d'Agadir et de Marrakech. Fès restera en attente : «J'évite actuellement d'y aller car ma famille habite la capitale spirituelle».

Au coucher du soleil, dans un endroit différent à celui du petit matin, elle exige à chacun de ses « employés » la somme de 50 dirhams. Pour les femmes équipées d'enfants, elle n'accepte jamais moins de 100 dirhams. Des prix qui risquent d'augmenter dans les jours à venir. C'est l'été : «Le prix du marché augmente de plus en plus avec la concurrence ». «En plus c'est la haute saison. Les touristes sont généreux; quant aux MRE, ils sont des proies faciles», précise Fatna. Et si les mendiants acceptent, sans regrets, de lui verser ces différentes sommes, c'est parce que la dame leur offre le nécessaire : «C'est grâce à moi qu'ils ne sont jamais agressés ni arrêtés», explique-t-elle. «Sans moi, ils sont perdus et arrêtés sur le champ. Tous les coins sont vendus. Ils n'ont, hélas, pas le choix», affirme-t-elle. « Entre nous, d'après Hadj Sallam, si on gagne mieux c'est grâce à elle». Aux yeux de tous, Fatna n'est pas gourmande comme les autres chefs. Un mendiant ne gagne pas moins de 600 dirhams par jour. Une somme qui se multiplie selon les occasions. Seuls les comptes d'épargne, les épiciers et les propriétés privées de ces «professionnels» peuvent témoigner de cette richesse sournoise qui s'accroît en douceur favorisant ainsi le laxisme qui règne dans l'application des lois en vigueur. «Il est temps d'agir, crie un employé, sinon nous deviendrons tous des mendiants professionnels, ne serait-ce qu'à mi-temps».

Rida Addam
Source: Al Bayane

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