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Orphelinat d'Aïn Chock, le roi manipulé ?

En 2005, l'affaire de l'orphelinat d'Aïn Chock fait la une des journaux. Le Roi diligente une enquête et des coupables sont vite trouvés. Retour sur une affaire montée en épingle, rondement et surtout faussement menée.

Quatre mois après le début de leur procès, les huit inculpés dans l'affaire de l'orphelinat de Aïn Chock ont pu bénéficier d'une liberté provisoire le mardi 18 juillet dernier après plus d'un an d'emprisonnement. L'histoire commence le samedi 2 avril 2005. Il est 13h lorsque Mohammed VI s'apprête à achever sa visite de l'orphelinat de Aïn Chock, tenu par l'Association de Bienfaisance Musulmane de Casablanca. Réfectoire, cuisine, dortoir des jeunes enfants… Sous les projecteurs des caméras, le chef de l'Etat semble très satisfait des installations présentées et de leur usage. Nul alors ne préjuge de ce qui se trame en arrière plan, ni du coup de colère royal qui s'en suivra. Abderrahim Harouchi, ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité, fait une entorse au protocole, qui ne sera d'ailleurs pas la seule dans cette histoire, et traîne le roi vers un bâtiment isolé des autres. La bâtisse entasse des dizaines de jeunes gens logés dans des conditions insalubres. Un tableau de misère humaine insoutenable au regard du souverain qui, certainement choqué, ordonne dans l'heure la mise en examen et l'ouverture d'une information judiciaire à l'encontre des responsables de cette situation. Telle fut la mise en scène de la décision royale. Une décision qui plus d'un an plus tard s'avère bien éloignée, et dans le fond et dans la forme, de la réalité des faits ainsi que des véritables coupables.

LES FAITS
Ce fameux samedi, la visite royale est une semi-surprise puisque annoncée deux ou trois jours auparavant seulement. Comme le requiert le protocole, l'itinéraire du roi est dessiné à l'avance, mais il ne sera pas respecté. En effet, celui-ci ne visite pas l'ensemble des installations établies sur la liste et contre toute attente se laisse convaincre par l'invitation de Harrouchi à rejoindre ledit immeuble, isolé du reste par un double mur. Selon des témoins présents, le ministre du Développement social aurait parlé « d'un épineux problème que seule Sa Majesté pourrait résoudre ». D'un autre côté et cette fois-ci, à l'inverse du protocole, seules trois personnes du bureau administratif de l'Association de bienfaisance musulmane seront « conviées » à la visite royale alors que ce même protocole requiert habituellement le staff au complet. Les mêmes trois personnes qui seront par la suite écrouées, présentes au mauvais endroit au mauvais moment ou invitées sciemment à y être. Deux jours plus tard, Thami Chouaïd, vice-président de l'Association, son secrétaire général, Mohamed Loulidi (tous deux membres bénévoles du bureau de la fondation), Mohamed Kassi, directeur de l'orphelinat de Aïn Chock et onze autres fonctionnaires affiliés au ministère du Développement social sont convoqués à la wilaya de Casablanca. Au total 14 personnes subiront deux jours d'interrogatoire. Quatre fonctionnaires du ministère seront affranchis de l'instruction qui s'ouvre pour les dix restants. Les chefs d'inculpation retenus par le procureur sont : détournement de fonds publics, malversations, malveillance et mauvais traitements à l'encontre des enfants. Un premier accusé est libéré dans les jours qui suivent pour abandon de poursuites, un second bénéficie d'une liberté provisoire. Au final, 8 accusés, dont le vice-président et le secrétaire général de l'association, seront transférés à la prison de Oukacha où ils demeurent jusqu'à ce jour, sur la base d'une enquête diligentée pour ne pas dire inexistante. La première audience du procès de Aïn Chock a eu lieu le 21 mars dernier après trois reports et s'ouvre sur un dossier d'instruction vide de sens et de preuves qui, à titre d'exemple, aura tout simplement omis d'enquêter sur un trésorier de l'Association, principal responsable de la gestion financière et seul habilité à signer les chèques selon le statut de l'organisation. Un dossier d'instruction qui en tout et pour tout se base sur 27 témoignages « exclusivement » indirects, par ouï-dire.

AU DELÀ DES FAITS…
Quelques semaines avant l'annonce de la visite royale, Thami Chouaïd, Mohamed Loulidi et Mohamed Kassi sont conviés à une réunion à la Wilaya. En dehors du wali de Casablanca Mhamed Drief, y sont présents, à l'étonnement des arrivants, Mohamed Sajid, maire de Casablanca et Abderrahim Harouchi qui somme les représentants de l'Association de bienfaisance musulmane d'un certain nombre de directives. Il s'agit de nommer sans plus attendre Fadel Sekkat, fils du défunt Mohamed Sekkat, président de la fondation au poste de son père, Abdellatif Belmlih, son beau-fils, au poste de vice-président et un fonctionnaire de l'Entraide Nationale à la place de Mohamed Kassi à la direction de l'orphelinat. Harrouchi exige également de modifier le statut de l'association et d'y adjoindre à toute prise de décision la participation de l'Entraide Sociale, du ministère du Développement social, de l'autorité locale et de la commune. Changements auxquels les représentants présents répondent par un refus relatif arguant que « ces nouveautés doivent faire l'objet d'un vote au sein d'une assemblée générale de l'association ». Un refus qui scelle leur destin. Et la mise en scène fonctionne. Les trois compères, seuls appelés à la visite royale, finissent sous les verrous. Le trésorier, Mohamed Berkaoui, et son adjoint, Mohamed Chraïbi, vraisemblablement informés de la mascarade à l'avance, présentent leur démission respectivement en décembre et mars 2004. C'est d'ailleurs le fils de Mohamed Chraïbi, qui sera nommé le jour même de la visite royale, par ordonnance du juge (un samedi) responsable judiciaire, avant d'occuper actuellement le poste de trésorier, secondé par Mohamed Berkaoui, curieusement de retour. Ce ne sont pas là les seules étrangetés du dossier. Beaucoup justifient ces départs inexpliqués par le trou de 7 millions de dirhams retrouvé par les rapports d'audit du ministère des Finances pour les années 1999, 2000 et 2001 et qui ne font l'objet d'aucune poursuite. Sept millions de dhs délivrés par le défunt Mohamed Sekkat et Mohamed Chraïbi à titre d'avance pour la construction de la maison de jeunes filles et pour lesquels il n'existait aucun justificatif et pas même un devis des travaux. Et des années durant lesquelles, Berkaoui et Chraïbi, qui sévissaient à la tête des finances de l'association et selon le statut de l'organisation, étaient les seuls à pouvoir émettre un chèque au nom de la fondation. Chèque alors paraphé par son président en titre. Un rapport d'audit privé commandé à la firme Deloitte et Touche blanchit Chraïbi, assurant que ce dernier n'aurait plus émis de chèques depuis 2001, alors même que la défense, et donc la justice, détient des chèques datant de 2004. Plus que cela, à la révision du rapport de Deloitte et Touche, demandée par le ministère des Finances, a été découvert un compte bancaire au nom de l'Association et dont les deux signataires, ne faisant guère parti du bureau de l'organisation, répondraient aux noms de Rabia Chraïbi et Aïcha Alaoui. Le compte renfermerait 120.000 Dhs et 1.050.000 dhs en SICAV. Un élément du dossier qui semble également avoir échappé au juge Serhane. Mais au-delà des conjectures, l'essentiel n'en demeure pas moins que l'objet même de la colère royale, à savoir le bâtiment délabré accueillant des jeunes de plus de 21 ans, a été isolé du reste des installations de la fondation par décision des autorités locales et après moult plaintes émanant de l'Association de bienfaisance mais également de la commune, de la préfecture ou de particuliers. Ce bâtiment abrite en réalité des squatteurs, voleurs, drogués ou dealers que personne n'est arrivé à déloger. Tous âgés de plus de 21 ans et qui, conformément au statut de l'Association qui fixe la limite d'âge à 18 ans, ne relèvent plus de la Fondation. Trente-deux plaintes pour vol, dégradations de biens, prostitution, agressions et même viols des jeunes mineurs de l'orphelinat ont décidé les autorités locales, par arrêté du wali, à transférer la responsabilité du bâtiment et de ses occupants à l'Entraide nationale et son ministère de tutelle, la retirant à la fondation qui à titre de solidarité sociale, fournissait les repas. Un arrêté du Wali datant du 24 septembre 1997 a recommandé la construction du mur séparant le bâtiment du reste. Comment se fait-il que si des documents officiels délimitent clairement les responsabilités de chacun, la justice ne parvienne pas à le faire ? Comment explique-t-on que si des responsables sont poursuivis, les principaux, au vu des chiffres, ne le soient pas ? Pourquoi faut-il encore qu'un arbre cache la forêt ?

Oumama Draoui
Source : Le Journal Hebdomadaire

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