Les feux de forêt se déclarent le plus souvent pendant l’été. Ces incendies menacent-ils réellement le patrimoine forestier marocain ? Le Maroc compte en effet 9 millions d’hectares de forêts, concentrés en grande partie dans le nord et le Moyen-Atlas, avec une soixantaine d’espèces arborescentes variées : chêne vert, chêne-liège, chêne tauzin, arganier, pin, thuya, cèdre ; sans parler des steppes d’alfa qui occupent d’importantes étendues (3318 millions d’ha).
Les forêts ne sont pas seulement une richesse naturelle jouant un rôle tout à la fois écologique, social et économique, mais elles sont aussi un gîte privilégié pour l’essentiel de la faune terrestre nationale. Les préserver du feu et de la destruction humaine, c’est aussi préserver les quelques centaines d’espèces animales dont la survie est intimement liée à la végétation forestière, afin de leur éviter le sort de certaines espèces animales sauvages, comme l’emblématique lion de l’Atlas, la panthère ou le guépard, complètement disparues aujourd’hui.
Outre les agressions de l’homme, qui s’y procure du bois à des fins industriels ou de chauffage (la forêt couvre 30% des besoins du pays en bois d’œuvre et d’industrie et participe de 30% au bilan énergétique national), le feu constitue le plus grand danger qui guette la forêt. Les chiffres du Haut commissariat aux eaux et forêts ne laissent aucun doute sur l’ampleur du phénomène : entre 1960 et 2006, 143 765 ha de forêts ont été la proie des flammes, soit 252 incendies par an pour une superficie moyenne annuelle de 3059 ha, avec deux pics : 11 000 ha touchés en 1983 et 8 660 en 2004. L’année la plus clémente pour la forêt a été 2002 : seulement 593 ha ont été totalement ou partiellement calcinés.
Quatre niveaux de lutte contre l’incendie, avec une gradation des moyens mobilisés
L’année 2006 a eu son lot d’incendies et dans des proportions qui ont dépassé la moyenne annuelle, avec 5360 ha. Plus de la moitié de cette superficie est représentée par les deux grands incendies survenus au mois de septembre dans la forêt de Beni Issef, dans la commune rurale de Souk El Kolla (Larache) et dans la forêt de Jbel Ameziz, dans la commune rurale de Mokrisset-Zoumi (Chefchaouen). Les fortes chaleurs et le chergui qui sévissent en cette période de l’année dans cette région du nord du Maroc ont alors eu raison des gros moyens humains et matériels déployés (un millier d’officiers et agents, des avions Turbo Trush de la Gendarmerie royale...) pour endiguer le feu.
Pour venir à bout de ces incendies, il a fallu l’intervention des services de la protection civile espagnols et français, qui avaient envoyé des canadairs pour prêter main-forte à la protection civile marocaine. «C’est dans notre programme de lutte contre les incendies de forêts: quand on est devant des feux d’une grande ampleur, comme c’est arrivé dans la région du nord en 2006, nous appelons à la coopération régionale, espagnole et française, pour la mobilisation des canadairs», indique Abdeladim Lhafi, haut commissaire aux eaux et forêts (voir encadré en page suivante). Il s’agit d’avions qui peuvent pomper rapidement et déverser 10 à 12 tonnes d’eau, permettant des rotations très rapides.
Mais comment surviennent ces incendies ? Souvent, au Maroc, l’origine des feux est soit criminelle, soit due à la négligence de l’homme. Le feu de forêt, indique Mohamed Badraoui, directeur de la lutte contre la désertification et de la protection de la nature au Haut commissariat des eaux et forêts, est imputé essentiellement à des causes humaines: «Un automobiliste ou un promeneur qui jette un mégot par négligence, des campeurs qui allument un feu lors d’un pique-nique ou des producteurs de miel. Et puis il y a des causes criminelles, particulièrement dans le Rif, car il y a une grande pression sur les ressources forestières et sur l’utilisation des terres pour l’agriculture.»
Des incendies pour faire diversion pendant la récolte de cannabis
Mais pas seulement pour cela, précise A. Lhafi : en cette période de l’année (fin août, septembre), les producteurs du Rif récoltent le cannabis, «et ce sont eux qui provoquent volontairement le feu, pas uniquement pour s’approprier de nouvelles superficies mais surtout pour faire diversion en cas de contrôle. Quand tout le monde est occupé par le feu, les routes sont évacuées, l’écoulement de la marchandise devient plus facile.»
Ce n’est pas un hasard si c’est précisément dans le Rif, région réputée pour la culture et la commercialisation du cannabis, que les convoitises sur les superficies forestières sont les plus grandes. Les responsables du Haut commissariat aux eaux et forêts (HCEF) ont du mal à imposer l’immatriculation des domaines forestiers, la population s’y opposant fermement, considérant ces terres comme les siennes, en tire ses ressources.
Si bien que, sur les 480 000 hectares de terres forestières dans le Rif, seulement 7% sont immatriculés. «Alors que, dans d’autres régions du Maroc, cette opération de sécurisation du domaine forestier se passe d’une manière tout à fait normale, selon un programme fixé à l’avance : à l’horizon 2014, on prévoit la délimitation définitive de tous les domaines forestiers et leur immatriculation», indique M. Badraoui.
Préserver la forêt du feu, c’est assurer des revenus à 7 millions de personnes, soit la moitié de la population rurale marocaine. En matière économique, c’est une manne inestimable : la valeur annuelle moyenne des biens et services des forêts marocaines est estimée à 5,45 milliards de dirhams, soit environ 2,5% du PIB (voir encadré en page suivante).
Deux richesses importantes sont tirées de la forêt, outre la couverture de 17% des besoins alimentaires du cheptel national en fourrage : les plantes médicinales et l’apiculture. L’une des actions génératrices de revenus que mène le HCEF, pour offrir aux populations des revenus alternatifs aux ressources proprement forestières, est justement constituée par l’apiculture.
La forêt fournit 2,5% du PIB du Maroc
Deux autre programmes sont menés par le HCEF pour la conservation et le développement des ressources forestières : le reboisement et l’aménagement des bassins versants. Pour le premier, entre 35 000 et 37 000 hectares sont reboisés chaque année. C’est l’un des moyens les plus efficaces, affirment les spécialistes, pour la reconstitution des écosystèmes forestiers et la lutte contre la désertification. Quant au programme national d’aménagement des bassins versants, il consiste essentiellement à lutter contre l’érosion du sol.
«La maîtrise de l’érosion, notamment hydrique, explique M. Badraoui, préserve le débit d’eau qui alimente les barrages. Or, la destruction de la forêt entraîne l’érosion du sol. Résultat : des centaines de tonnes de débris solides se déversent sur les barrages.» Le Maroc perd annuellement, à cause de cette érosion hydrique, 75 millions de mètres cubes de capacité de stockage (l’équivalent de la capacité d’un grand barrage).
154 sites d’intérêt biologique et écologique à transformer en parcs nationaux
Autre programme initié par le HCEF pour la protection du patrimoine forestier, celui des aires protégées pour la conservation de la biodiversité. Le Maroc a réalisé une étude recensant 154 sites d’intérêt biologique et écologique (SIBE) qu’il faut valoriser, aménager et transformer en parcs nationaux. Les SIBE représentent environ 2,5 millions d’hectares. «Dans ces espaces d’intérêt biologique et écologique, précise M. Badraoui, nous essayons de promouvoir le développement durable, et, en même temps, de préserver les ressources naturelles et répondre aux besoins des populations qui y vivent».
Trois réserves de biosphère
Le Maroc dispose actuellement de trois réserves de biosphère : la réserve de biosphère de l’arganier, dont le label a été donné par l’Unesco en 1998 ; celle des oasis du sud, dont le label a été accordé en 2000. Enfin, la réserve de biosphère intercontinentale de la Méditerranée, entre le nord du Maroc (50%) et l’Andalousie en Espagne (50%), d’une superficie d’un million d’hectares. Pour cette dernière réserve d’intérêt international, le label a été approuvé par l’Unesco en octobre 2006. Le patrimoine forestier n’est donc pas aussi menacé qu’on pourrait le craindre, à condition de mettre tout en œuvre pour le protéger