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«Tous les miens sont en Europe»

Reconduit au Maroc, Mohamed Haddaoui vit en transit dans un pays qu’il ne connaît plus.

«C’est pas comme ça la France.» Slalomant dans sa Renault 18 à bout de souffle entre piétons, deux roues, voitures et charrettes tirées par des ânes, Mohamed Haddaoui peste. Il avait quitté Berkane, petite ville du nord-ouest du Maroc, en 1999 pour travailler en France. Il en a été expulsé le 23 novembre. Depuis, cet homme de 43 ans vit en transit dans ce pays qu’il ne connaît plus. La région, et notamment sa capitale, Oujda, s’est développée. Mohamed Haddaoui regarde d’un œil détaché les chantiers qui ont fleuri alentours. Le bazar marocain l’énerve. «La vérité, madame, ici c’est pas comme la France», serine-t-il en boucle.

«Rien au Maroc». Son horizon, désormais, c’est la banlieue parisienne, où sont restés sa femme et ses trois enfants. «J’ai rien au Maroc, pas de maison, pas de travail, pas d’argent. Tous les miens sont en Europe.» Trois frères en République tchèque, le quatrième en Belgique et sa sœur à Paris, tous en situation régulière. Dans son pays d’origine, Mohamed Haddaoui est sans domicile fixe. Samedi et dimanche, il a dormi à Oujda, chez un beau-frère, puis chez un oncle. Il lui arrive aussi de se faire héberger à Berkane, à 60 km, où vit un oncle de sa femme qui lui prête la fameuse R18. C’est là qu’il est né, a grandi, a commencé à travailler comme chauffeur de taxi. Rue 334, numéro 29. De la maison familiale ne restent que les murs. Tout le reste, y compris les encadrements de fenêtres, a été volé. Bien que divorcés depuis des années, les parents de Mohamed Haddaoui se la disputent. Sa mère en a été chassée. L’affaire est au tribunal.

Pour le vivre comme pour le couvert, ce Marocain dépend de la solidarité familiale. Sauf que cette solidarité a les limites que dicte l’islam. «Quand l’homme sort, je sors avec lui.» En clair, lorsque l’oncle ou le beau-frère part travailler, Mohamed Haddaoui n’a pas le droit de rester seul dans la maison avec les femmes. «Le Coran l’interdit.»Dehors, il erre. «Je marche ou je reste avec un commerçant, et on discute, ou je vais dans le café de la place des taxis.»

Internet. Ce lundi, Mohamed Haddaoui est chez l’oncle d’Oujda. Dans un coin du salon meublé à la marocaine d’une banquette qui fait le tour de la pièce et de deux tables basses, un ordinateur relié à Internet. Mohamed Haddaoui s’y connecte régulièrement pour suivre l’évolution de son affaire. Une alerte clignote en bas: «C’est Khadija.» Sa belle-sœur, française, l’appelle d ’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Elle fait le point: «Hortefeux n’a pas voulu signer le document permettant à Rahma [l’épouse de Mohamed Haddaoui, également sans papiers, ndlr] de circuler librement. Il attend le feu vert de Sarkozy.» Autre nouvelle : «Les cartes postales [illustrées par un dessin de sa fille Meryem et signées par les camarades de ses enfants, ndlr] ont été envoyées à Sarkozy.»«C’est bon, ça ?» s’inquiète-t-il.

Mohamed Haddaoui trouve son sort très injuste. «Comment tu peux expulser un père de famille de trois enfants ?»Il a quitté le Maroc, car son activité de chauffeur de taxi, non-propriétaire de son véhicule, ne le nourrissait pas . «Il y avait beaucoup de gens de mon quartier qui étaient à Paris. Ils m’ont dit qu’il y avait du travail dans le bâtiment.» Muni d’un visa de tourisme, il entre en France. Achète des faux papiers: 1 500 francs à l’époque. Et travaille. D’abord sur les marchés, puis comme ferrailleur sur les chantiers de BTP. Ses conditions de vie sont rudes. Moins de 1 000 euros de salaire par mois, une chambre de 16 m2 pour la famille qui l’a rejoint.

Contrôles. Une première fois, il est contrôlé par la police, gare Saint-Lazare à Paris. Après onze heures de garde à vue, il est libéré. Une deuxième fois, à Bobigny: «Je sors du métro, trois policiers: "Bonjour monsieur, contrôle des papiers." "J’ai pas de papiers." Mes enfants viennent à côté de moi. "Est-ce que c’est tes enfants?" "Oui." "Et tu vas où?" "Chez la tante de ma femme." Il parle à l’autre policier et me dit: "Bonne journée." C’est à 100 % à cause des enfants que je suis pas arrêté».

Le troisième contrôle se passe moins bien, puisque Mohamed finit embarqué dans un avion d’Air France comme un paquet, mains attachées à une ceinture, jambes entravées avec du ruban adhésif. Débarqué à Casablanca avec pour seuls vêtements ceux qu’il a sur le dos, un billet de 50 euros miraculeusement conservé en poche, il prend le train pour Oujda. Depuis, il attend un signe de la France.

Selon lui, les parents d’enfants scolarisés doivent être régularisés, comme Sarkozy l’avait promis en juin 2006. Ensuite, il ne voit pas d’inconvénient à ce que le gouvernement stoppe l’immigration. «J’ai imaginé la solution: monsieur Sarkozy pourra faire une loi et dire "à partir de maintenant, si quelqu’un entre en France sans visa, jamais de la vie il n’aura des papiers".»

Catherine Coroller
Source: Libération(France)

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