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Le premier quotidien marocain "Al-Massae" est menacé de disparition

"Il y a une vraie volonté de nuire à Al-Massae. On veut nous tuer !". Rachid Niny, 38 ans, a du mal à trouver les mots pour exprimer sa colère. Al-Massae, c'est son bébé. Il l'a lancé il y a tout juste deux ans. Très vite, ce quotidien de langue arabe s'est mis à caracoler en tête de la presse marocaine, loin devant ses concurrents arabophones et francophones.

Aujourd'hui, Al-Massae vend 120 000 exemplaires par jour et pourtant il risque de disparaître. Le 1er décembre, il a été condamné pour diffamation par le tribunal de première instance de Casablanca à verser 600 000 dirhams (54 500 euros) de dommages et intérêts au bâtonnier de Rabat. Un mois plus tôt, Rachid Niny, en tant que directeur de la publication, avait écopé d'une amende record : plus de 6 millions de dirhams (environ 550 000 euros), pour diffamation et injures publiques à l'encontre de quatre substituts du procureur du roi. Al-Massae avait qualifié l'un d'eux "d'homosexuel".

Au-delà du bien-fondé ou non de la sentence, une amende de 6 millions de dirhams équivaut à condamner à mort le premier quotidien du royaume. Au Maroc, toute la profession s'en inquiète. "A quand notre tour ?" se demandent les journalistes, qu'ils aiment ou détestent leur confrère actuellement dans la ligne de mire du pouvoir.

Populaire ou populiste ? Al-Massae est sans doute les deux à la fois. Le journal dénonce les establishments politiques et économiques, pourfend la corruption, n'hésite pas à donner son avis sur tel ou tel fait de société. Rédigée dans un mélange d'arabe classique et de dialectal, "Chouf t'Chouf" ("Regarde") la chronique quotidienne de Rachid Niny fait un tabac. L'homme de la rue comme le haut fonctionnaire s'en délectent. Si le journaliste a les faveurs du petit peuple, profondément traditionnel et religieux, il est haï, en revanche, par la bourgeoisie francophone. On lui reproche son côté racoleur, homophobe, ultra conservateur.

"J'ai des ennemis et je dérange. Mais le rôle des journalistes, c'est précisément de déranger ! Nous devons poser des questions telles que : où va l'argent public ? Avons-nous une vie politique digne de ce nom, au Maroc ? A quoi ressemblera la société marocaine dans le futur ?" réplique l'intéressé.

Ce n'est pas la première fois que la justice marocaine se charge de réduire au silence certains titres ou journalistes trop irrévérencieux. Condamné, en 2006, à payer une amende de 3 millions de dirhams, Aboubaker Jamaï, directeur et fondateur de l'emblématique Journal hebdomadaire, a fini, de guerre lasse, par quitter le Maroc.

En 2005, Ali Lmrabet, fondateur de l'hebdomadaire Demain, s'était vu infliger une interdiction sans précédent de pratiquer le journalisme pendant dix ans, ce qui allait le conduire à s'exiler en Espagne. Plus récemment, le directeur des hebdomadaires Tel Quel et Nichane, Ahmed Benchemsi, a été condamné lui aussi à une amende exorbitante, mais un arrangement de dernière minute a pu être trouvé, permettant de sauver ses journaux.

Dans le cas d'Al-Massae, un compromis est-il possible ? "Bien sûr qu'on pourrait trouver une solution s'il y avait une volonté politique de le faire !" répond Rachid Niny, démoralisé. La justice, au Maroc, n'a rien d'indépendant. "On se sert d'elle pour régler des comptes. C'est désespérant !"

Nul doute qu'Al-Massae paie aussi le prix d'être un quotidien de langue arabe. Son influence déborde largement les cercles élitistes de Rabat et Casablanca. Le journal fait-il peur au pouvoir ? "J'en suis persuadé !" répond Rachid Niny.

Florence Beaugé
Source: Le Monde

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