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TelQuel et Nichane victimes de crime de lèse-majesté

L’information est tombée samedi 1er août, dans un communiqué du ministère de l’Intérieur du Maroc : « Le ministère de l'Intérieur a ordonné la saisie des numéros 384-385 du 1er août au 4 septembre et 212-213 du 1er août au 3 septembre des hebdomadaires "TelQuel" et "Nichane" à la suite de la publication d'un ensemble d'articles enfreignant les dispositions légales en vigueur ».

Cette suspension intervient conformément à la mise en application de l’article 77 du Dahir N/1-58-378 du 3 joumada-I 1378 (15 novembre 1958) formant code de la presse au Maroc, poursuit le communiqué. Toutefois, le ministère ne donne aucune précision sur les articles incriminés ni sur leur nature délictuelle.

Dans l’article du code de la presse sus-indiqué, il est en effet stipulé que « Le ministre de l'Intérieur pourra ordonner par arrêté motivé la saisie administrative de tout numéro d'un journal ou écrit périodique dont la publication porte atteinte à l'ordre public, ou comporte les faits visés à l'article 41 ci-dessus ». Les faits indiqués dans l’article 41 de ce code sont les suivants : « toute offense, par l'un des moyens prévus à l'article 38, envers Sa Majesté le Roi, les princes et princesses Royaux », ou « lorsque la publication d'un journal ou écrit porte atteinte à la religion islamique, au régime monarchique ou à l'intégrité territoriale ».
Tout tend donc à montrer que TelQuel et Nichane – hebdomadaires respectivement francophone et arabophone appartenant au même groupe de presse - ont touché à l’intouchable. Ahmed Benchemsi, le directeur de publication des deux revues, a indiqué à nos confrères de l’AFP qu’ « un sondage - effectué en partenariat avec le journal français Le Monde - sur le bilan des 10 premières années du règne du roi Mohammed VI » avait été publié dans les deux numéros saisis des deux hebdomadaires. Il poursuit en affirmant que « ce sondage révèle que 91% des Marocains interrogés jugent que le bilan du règne du roi Mohammed VI est positif ou très positif". A priori, il ne devrait y avoir rien de compromettant à signaler pour l’appareil administratif marocain. Cependant, là où le bât blesse, c’est « qu'il n'est pas acceptable, dans le principe, de réaliser un sondage d'opinion à propos du monarque ».

Une version confirmée par les déclarations, reprises par l’AFP, du ministre de la Communication, Khalid Naciri, qui avance que "la monarchie au Maroc n'est pas en équation et ne peut faire l'objet d'un débat même par voie de sondage". Il insiste en confiant aux journalistes d’Associated Press qu'il « s'agit d'une question de principe qui n'a rien à voir avec les résultats du sondage ». « N'importe quel organisme de presse, qu'il soit national ou international, aura le même traitement (…) car ni le roi, ni la monarchie ne peuvent être l'objet de sondages d'opinion », a-t-il conclut.

Et c’est justement le même sort qui sera réservé au journal Le Monde, qui compte publier les résultats du même sondage dans son édition de demain, mardi. En effet, les lecteurs marocains du quotidien français ne devraient pas pouvoir retrouver leur tabloïd dans les kiosques du Royaume, puisque le porte-parole du gouvernement, Khalid Naciri, a déjà pris de l’avance sur les faits en affirmant que « si Le Monde publie ce sondage, il ne pourra être mis en vente au Maroc ».

Même son de cloche au parti du Mouvement Populaire. La MAP a rendu public ce dimanche un communiqué du bureau politique du MP exprimant leur « grand étonnement quant à l'attitude préméditée et de façon systématique, marquée de scepticisme, des deux hebdomadaires à l'égard de l'institution monarchique et des autres valeurs morales du peuple marocain, dans la seule intention de faire du sensationnel, dans un défi manifeste des sentiments de la nation marocaine et en faisant fi des lois en vigueur dans le domaine de la presse et de l'édition ».

Dans le box des accusés, la pilule est dure à avaler – même s’il est évident qu’il faut tout de même l’avaler de gré ou de force. Le groupe TelQuel a affirmé, dimanche, dans un communiqué repris par l’AFP, qu’il dénonce « avec force la saisie et la destruction de 100.000 exemplaires des magazines TelQuel et Nichane ». Ce, en voyant à travers cette mesure une nouvelle « attaque à la liberté de la presse et d'opinion » de la part du Makhzen. Le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) s’est également fait entendre à travers un communiqué repris par l’AFP, ce dimanche. Le SNPM dénonce vivement la saisie de ces publications et souligne, par ailleurs, « qu'il n'existe aucun texte de loi qui règlemente les sondages au Maroc » et « réclame le respect de la liberté de la presse ».

Ceux qui se rappellent encore du tollé provoqué, en janvier 2007, par un dossier sur le rire et la religion ou la politique, publié dans les pages de Nichane, seraient bien tentés d’en déduire que l’histoire s’est répétée. En effet, l'ex-rédacteur en chef de Nichane, Driss Ksikes, et une journaliste avaient écopé de trois ans de prison avec sursis, à la suite de ce scandale, en plus d’une interdiction de publication du journal pendant trois mois et une amende de 80 000 Dirhams (7000 Euros). Ahmed Benchmesi avait, lui aussi, fait l’objet d’un procès suite à la publication de son éditorial, dans le numéro 113-114 de TelQuel, en été 2007. La coïncidence est frappante. Il avait en effet été inculpé de « manquement au respect dû à Sa Majesté le Roi». Les deux revues casablancaises s’étaient d’ailleurs vues retirées de la vente par la Primature marocaine. Raison de plus pour dire que la récidive ne s’est décidément pas fait attendre pour les deux « enfants terribles » de la presse marocaine.

Safall Fall
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