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Villepin : «Face à l'immigration irrégulière, la règle, c'est la fermeté»

Dominique de Villepin présentera demain en Conseil des ministres son plan de lutte contre l'immigration illégale, qu'il a remis hier au chef de l'Etat et au premier ministre, et dont il révèle le détail au Figaro. Ce plan lui avait été demandé par Jacques Chirac, le 8 novembre dernier, à Nîmes. «Faire respecter la loi, toute la loi, c'est aussi lutter humainement mais fermement contre l'immigration clandestine», avait alors déclaré le chef de l'Etat. Création d'un service public de l'immigration, renforcement des moyens de la police aux frontières, modification du Code civil pour lutter contre les mariages blancs, mise en place d'un fichier national des attestations d'accueil, établissement d'une liste des pays sûrs pour accélérer le traitement des demandes d'asile... : à trois semaines du référendum sur la Constitution européenne, et alors que l'immigration continue de figurer parmi les principaux motifs d'inquiétude de l'opinion française, Dominique de Villepin affiche la volonté gouvernementale d'apporter au problème des clandestins une réponse «rapide et efficace».

LE FIGARO. – Votre plan de lutte contre l'immigration irrégulière doit être adopté demain en Conseil des ministres. En 2003, votre prédécesseur, Nicolas Sarkozy, avait déjà révisé les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Pourquoi revenir sur le sujet ?


Dominique de VILLEPIN. – Tout simplement parce que l'immigration irrégulière reste une réalité en France. Elle est contenue, mais elle est encore trop importante : il s'agit d'une population estimée au total entre 200 000 et 400 000 personnes. Au cours de mes déplacements, j'ai pu mesurer à quel point cette situation était inacceptable aux yeux de nos compatriotes. J'ai donc décidé d'apporter une réponse rapide et la plus efficace possible, dans le respect de nos principes républicains.


Vous vous êtes toujours refusé à donner une estimation. Pourquoi le faire aujourd'hui ?


Je donne ces deux chiffres pour ramener le débat à des proportions réalistes. Certains parlent d'un million de clandestins en France. Cela n'a aucun sens.


Concrètement, que proposez-vous ?

Face à l'immigration irrégulière, la règle, c'est la fermeté. Pour cela, j'ai proposé au président de la République et au premier ministre un plan d'action gouvernemental qui est le fruit d'un travail en commun. Il nous donnera les moyens opérationnels de faire respecter la règle de droit. Il comprend des dispositifs immédiatement applicables, comme le contrôle effectif des titres de séjour ou des attestations d'accueil des étrangers. Il propose également la création d'un service public de contrôle de l'immigration afin de coordonner l'activité de toutes les administrations concernées : Intérieur, Justice, Affaires sociales et Affaires étrangères. Il s'appuie enfin sur un renforcement de la coopération européenne, notamment pour le contrôle des frontières.


Les autres ministères vont-ils accepter de mettre leurs administrations sous votre tutelle ?

Il ne s'agit absolument pas de cela. Nous avons tous travaillé ensemble avec Jean-Louis Borloo, Dominique Perben et Michel Barnier. L'idée est de rassembler nos capacités pour être plus efficaces, sous l'autorité du premier ministre. Comment les Français pourraient-ils comprendre que, sur un enjeu aussi important, nous ne soyons pas tous unis et mobilisés ? La responsabilité opérationnelle du dispositif, puisqu'il s'agit de lutte contre l'immigration irrégulière, sera confiée à un haut fonctionnaire de l'Intérieur, alors qu'aujourd'hui les informations sont éparpillées entre différentes administrations. Avec ce nouvel outil, chacun disposera au quotidien des principaux indicateurs de l'immigration pour réagir en temps réel : nombre de demandes d'asile, nombre de régularisations, nombre de reconduites à la frontière...


Les forces de l'ordre se mettront-elles au diapa-son ?

Je propose aussi de créer une police de l'immigration dont la police aux frontières (PAF) sera le noyau dur. Elle se consacrera exclusivement au démantèlement des filières de clandestins et aux reconduites aux frontières. Dans chaque département, nous installerons également des pôles d'immigration où travailleront policiers et fonctionnaires des préfectures. Enfin, Michèle Alliot-Marie et moi-même annoncerons très prochainement la création d'un office central de lutte contre le travail illégal confié à la gendarmerie.


Sait-on qui sont les clandestins ?

Il existe deux grandes catégories : les personnes qui entrent régulièrement sur notre territoire mais qui prolongent ensuite leur séjour de manière illégale et les purs clandestins.


Comment ralentir le flux de ces entrées ?

L'un des enjeux les plus importants est celui des personnes qui entrent sur notre territoire avec un visa de court séjour et qui s'y maintiennent après l'expiration. Aujourd'hui, les immigrés en situation irrégulière dissimulent leur identité lorsqu'ils sont interpellés. Comme nous ne pouvons établir ni leur identité ni leur date d'entrée sur le territoire français, nous ne pouvons pas les renvoyer chez eux. Demain, grâce aux visas biométriques et à l'empreinte digitale numérisée, nous serons en mesure d'établir avec certitude leur pays d'origine et la réalité de leur droit au séjour. Nous avons équipé les consulats de Bamako (Mali), de Colombo (Sri Lanka) et de Minsk (Biélorussie). Bientôt nos représentations à San Francisco et à Shanghaï seront également dotées. D'ici à trois ans, l'ensemble des consulats délivrera des visas biométriques.


Et pour les mariages...

Si l'immigration régulière a connu une augmentation de plus de 20% depuis sept ans, c'est essentiellement en raison des mariages. Les unions de nationaux avec des étrangers sont passées de 18 000 en 1999 à 53 000 en 2004. Nous estimons qu'il y a chaque année plusieurs milliers de mariages forcés ou de complaisance. Nous allons donc modifier le Code civil afin que la transcription d'un mariage à l'étranger ne soit plus automatique. Pour l'instant, nous sommes dans une situation ubuesque. Il est possible de se marier à l'étranger et de faire transcrire l'acte en droit interne sans toujours respecter les règles du mariage français.


Mais comment vérifier ce qui s'est passé dans l'Atlas marocain ou en Turquie ?

Désormais, le procureur devra faire une enquête en liaison avec les services consulaires pour vérifier que les conditions d'un mariage valide en droit français sont bien remplies. Dans le même ordre d'idée, les maires pourront désormais créer dans leur commune un fichier des attestations d'accueil. Il permettra de constater, par exemple, qu'une même personne a accordé une attestation d'accueil à dix étrangers différents.


Justement, où en est-on des reconduites aux frontières ?

Nous avons reconduit 11 000 personnes en 2003 et 16 000 en 2004. Mon objectif est de parvenir à 20 000 en 2005. Il faut ajouter à ces reconduites les 30 000 étrangers refoulés aux frontières ainsi que le millier de retours volontaires. Cela représente pour le ministère de l'Intérieur un effort considérable : le budget a été multiplié par trois depuis 2004, de 33 millions d'euros à 100 millions d'euros, et nous avons affecté 600 policiers de plus à la PAF. Grâce à cet effort, la population clandestine est désormais stabilisée.


Il reste cependant ces 200 000 à 400 000 personnes que vous évoquez, et dont certaines se sont enracinées notamment en se mariant. Faut-il solder le passé en les régularisant ?

C'est hors de question ! Les deux régularisations massives de 1981 et de 1997 se sont soldées par des échecs. A chaque fois, cela a créé un appel d'air et produit de nouvelles arrivées.


Régulariser à la hâte à chaque grève de la faim ne brouille-t-il pas votre message de fermeté ?

Les préfets étudient les dossiers au cas par cas et n'accordent un titre de séjour que lorsque la situation administrative ou humaine le justifie.


Le point faible du dispositif ne reste-t-il pas la gestion de la demande d'asile ?

Nous avons fait de gros efforts pour réduire les délais. Nous voulons passer de près de deux ans à six mois pour chaque demande d'ici à un an. Cela permettra d'éviter les situations humaines les plus douloureuses, notamment celle des enfants scolarisés. Le traitement dans des délais encore plus brefs des demandes de ressortissants venant de pays réputés sûrs permettra de gagner du temps sans léser les demandeurs.


Mais il existait une liste de sept pays retenus par la France en avril dernier ; pourquoi n'a-t-elle pas été adoptée ?


C'est un début, mais ce n'est pas suffisant. Cette liste n'aurait concerné que 1 500 personnes en 2004 quand plus de 50 000 ont fait une demande d'asile. Si l'Union européenne n'arrive pas à se mettre d'accord, il faudra bien que la France adopte sa liste : elle le fera avant le 15 juin.


La Constitution européenne permettra-t-elle de lutter plus efficacement contre l'immigration irrégulière ?


Le traité constitutionnel nous fera passer du vote à l'unanimité au vote à la majorité qualifiée pour toutes les questions d'asile et d'immigration. Notre capacité de décision dans ce domaine s'en trouvera donc accrue.


La France sera-t-elle toujours en mesure de s'opposer à une décision qu'elle jugerait contraire à ses intérêts ?



Il n'y a pas de divergences entre les pays européens sur la nécessité d'un meilleur contrôle de l'immigration irrégulière. La plupart des pays, en particulier l'Allemagne, l'Espagne, la France, la Grande-Bretagne et l'Italie, partagent les mêmes exigences sur ces questions. Demain, je reçois à Paris mes homologues de ce groupe restreint, le G 5, afin de renforcer encore notre sécurité aux frontières grâce aux patrouilles de police et aux commissariats communs. Par ailleurs, le contrôle du séjour des étrangers restera toujours une décision nationale. Mais la Constitution nous permettra de renforcer nos coopérations, de multiplier les contrôles et de nous doter de nouveaux outils comme l'Agence européenne des frontières.


En matière d'immigration régulière, la Commission européenne estime qu'il n'y a pas assez de main-d'oeuvre en Europe et qu'il faudra en faire venir. Est-ce que cela s'appliquera à la France ?


Non. Que l'Europe réfléchisse pour les années à venir à une véritable politique d'immigration, c'est une chose. Que ces règles soient contraignantes et que chaque pays soit soumis au même type de politique, c'est autre chose. L'essentiel de ce qui concerne l'accès des étrangers au marché du travail relève de notre législation nationale. Rien ne peut nous contraindre à la modifier.


A moins de trois semaines du référendum, les études d'opinion traduisent pourtant l'inquiétude des Français...

Il faut nous mobiliser et expliquer sans relâche. Ma conviction, c'est qu'il y a beaucoup d'interrogations et qu'une grande partie des Français n'ont pas encore pris de décision définitive. D'où la nécessité de ce travail en profondeur pour que chacun mesure bien tout ce que nous apporte l'Europe. Ne nous trompons pas de rendez-vous le 29 mai.

Source: Le FIGARO

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