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Le meurtre d'un deuxième Maghrébin ébranle Perpignan

Un mort, huit blessés et une ambiance de guérilla : les tensions entre communautés arabe et gitane ont explosé hier à Perpignan après l'annonce de la mort, en début de soirée, d'un Arabe abattu par arme à feu à partir d'une voiture circulant dans le quartier de Saint-Mathieu, proche du centre. Juste une semaine après le meurtre d'un autre Maghrébin, lynché, le 22 mai, à coups de barre de fer et de batte de base-ball par une bande de gitans. Vers minuit, huit blessés étaient comptabilisés par la préfecture : deux Arabes atteints par balles dans le secteur de Saint-Jacques, où avait eu lieu le premier meurtre, quatre personnes par arme blanche et deux par tessons de bouteille.

Dans les vieux quartiers de Perpignan, les commerçants se sont barricadés. «De jeunes Maghrébins approchent par groupes d'une dizaine environ», témoignait dans la soirée Nicolas, habitant du quartier de Saint-Mathieu. «Ils sont très mobiles, armés de manches de pioche et de pelles, et éclatent les vitrines des magasins», racontait-il au téléphone dans un concert d'alarmes. La préfecture a demandé hier soir des renforts à Marseille, Toulouse et Bordeaux pour appuyer les trois compagnies de 80 CRS qui assurent le maintien de l'ordre depuis plusieurs jours. Dans la nuit, des voitures brûlaient dans plusieurs quartiers de la ville. Toute la semaine passée, des bandes de jeunes Maghrébins s'en étaient déjà pris, nuit après nuit, à l'exception de celle de samedi à dimanche, aux forces de police, saccageant des vitrines et incendiant des véhicules.

«Honte». La tension était déjà perceptible samedi après-midi, lors de la manifestation «silencieuse» en hommage à Mohamed Bey Bachir, le jeune exécuté par une dizaine de gitans dans un café de la rue Llucia. Le défilé fut bruyant, tendu, mais sans incident. Ils étaient entre 3 000 et 5 000 à descendre des hauts quartiers de la vieille ville vers le centre. «Je suis là aussi parce que j'ai honte qu'aucun d'entre nous ne soit venu en aide à Mohamed, alors qu'il y avait plein d'Arabes autour», reconnaît un jeune manifestant. Le cortège, sur lequel flottaient des drapeaux algériens, scandait à intervalles réguliers les «paroles d'ouverture» du Coran : «Lâ ilàh ila Allah, Muhammad rassul Allah». «Il n'y a de Dieu que Dieu et Mohamed est son Prophète, traduit une jeune femme. Chez nous, c'est comme cela qu'on exprime notre respect pour les morts.»

Devant la préfecture, les manifestants ont sagement attendu que les parents de la victime soient entendus par le préfet et par Jean-Paul Alduy, maire UMP de la ville. Certains ont tenté d'enflammer la foule au cri de «Gitans assassins !», sans succès. «Alduy, c'est fini !» a tenu plus longtemps. Quand chacun est rentré chez soi, en fin d'après-midi, un policier, soulagé, notait : «Il n'y a même pas eu une poubelle renversée.» Le déchaînement de violences est venu vingt-quatre heures plus tard.

Fantasmes. Depuis une semaine, c'est Arabes contre gitans, place du Puig contre place Cassanyes, fantasmes contre fantasmes. «La mort du jeune Bey Bachir n'a rien d'un crime raciste, explique Ahmed Ben Naoum, professeur de sociologie et d'anthropologie à l'université de Perpignan. Mais elle a provoqué un repli communautariste terrifiant, avec en toile de fond un quartier où tous les exclus sont ghettoïsés depuis des décennies.» A Saint-Jacques, dédale de ruelles sur les hauteurs de la vieille ville, cohabitent depuis plus de cinquante ans gitans sédentarisés et immigrés maghrébins. Les gitans sont plutôt regroupés autour de la place Puig et les «Arabes» autour de la place Josep-Cassanyes, transformée chaque dimanche en grand marché cosmopolite. Mais pas hier, où les femmes gitanes étaient enfermées chez elles. «Depuis une semaine, c'est affreux, nos femmes n'osent plus sortir faire les courses, c'est nous qui sommes obligés de les faire !» Ainsi parle un groupe de vieux gitans catalans, rassemblés à l'ombre de la place Puig.

«On vit dans la peur, explique un jeune père de trois enfants. Les Arabes nous ont pris en otages. Mes enfants sont traumatisés, ils ne dorment plus et ne vont plus à l'école. Mais s'ils viennent toucher à un de leurs cheveux, je les tue !» De l'autre côté d'un important cordon de CRS qui empêche les jeunes Arabes d'accéder aux ruelles gitanes, Saïd ne cache pas sa colère : «Les gitans, ils ne travaillent pas et ils ont tous des bagnoles à 40 000 euros.» Mustapha ajoute : «Ici, les gitans n'ont pas peur de la police, c'est la police qui a peur d'eux. Il y a quatre ans, ils ont tué avec une hache un Algérien. Le gitan qui a fait ça, il est déjà dehors !»

«Nous sommes face à une situation irrationnelle, expliquait Henri Castets, directeur de la police du département ; avec deux communautés mortes de trouille qui se font face. Et nous, au milieu, à jouer les Casques bleus.»

Source: Libération

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