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Nador, Berbères et fiers de l’être

Comme en Kabylie, la prise de conscience de l’amazighité a été à l’origine de l’engagement de plusieurs militants de Nador. Ce n’est pas par hasard que le congrès mondial amazigh a choisi cette ville pour tenir sa rencontre le 5 août

Nous arrivons complètement épuisés à Nador après dix heures de train et deux heures de bus. Malgré son importance, la capitale du Rif marocain ne dispose pas d’une gare de train. C’est à Taourirt, un autre village berbère, comme son nom l’indique si bien, que le train s’arrête. Les voyageurs à destination de Nador trouvent un bus climatisé et confortable, les attendant pour les acheminer vers Nador. Le trajet est agréable même si la fatigue est perceptible sur tous les visages.

Une fois à Nador, le bus se gare devant un petit hôtel, dont le rez-de-chaussée est un café. De nombreux voyageurs s’y dirigent pour y prendre leur petit déjeuner. Il est dix heures. Nous avons démarré la veille à 22 heures de la gare de Casablanca. La nuit a été donc blanche. Dans le café, nous sommes frappés par le fait que tous les consommateurs que nous avons trouvé attablés, les garçons ainsi que le patron parlent exclusivement en tamazight.

On apprendra plus tard que la zone du Rif est à 100 % berbère ; plus encore, elle est berbérophone. "Si un étranger à la région vient ici, soit il apprend le tamazight ou bien il vivra marginalisé", nous confie le président d’une association culturelle amazighe.

A Nador, la population est berbère et fière de l’être. Relativement aux autres grandes villes marocaines, Nador donne l’air d’être moins développée. Le tourisme est quasi-inexistant. Nador est une région frondeuse. Un nombre important d’associations amazighes y active. Nacer Benseddik, qui a tout juste 28 ans, est le président de l’une d’elle : Tanekra. L’association a été créée en 1993. L’idée est née suite au constat fait part un groupe de militants de la cause amazighe concernant le vide culturel. "L’idéologie arabo-musulmane a commencé à étendre ses tentacules. Nous, en tant que défenseurs de tamazight, nous ne pouvions pas rester les bras croisés. C’est à partir de là qu’est née cette initiative", souligne Nacer qui nous fait visiter son local situé à la Rue d’Algérie, au N° 62. L’association possède un micro-ordinateur, une imprimante et quelques meubles. Elle active dans plusieurs domaines culturels : la musique, le théâtre... Pour survivre, ses militants versent chaque mois 50 dirhams à la trésorerie de l’association.

Tanekra a même organisé un colloque avec un écrivain américain vivant en Espagne et ayant écrit des livres sur le Maroc, précise un autre membre de l’association, Fouad El Ghafiki. Tanekra célèbre Yennayer chaque année et pendant deux ans, elle a assuré l’enseignement de tamazight en collaboration avec l’Inalco.

Comme en Kabylie, la prise de conscience de l’amazighité a été à l’origine de l’engagement de plusieurs militants de Nador. Ce n’est pas par hasard que le congrès mondial amazigh a choisi cette ville pour tenir sa rencontre le 5 août passé.

Un cadre, la cinquantaine, né et vivant au Rif, rappelle que déjà dans les années soixante-dix, il y avait des associations qui activaient dans le domaine amazigh. "Malgré l’arabisation forcenée, la population du Rif demeure berbèrophone", souligne le même cadre. Notre interlocuteur dit que la population est satisfaite qu’il y ait un début de reconnaissance de tamazight, mais cela demeure insuffisant car la population marocaine est dans sa quasi-totalité berbère.

Il y a une année, une grande caravane amazighe a été lancée dans tous les villages du Rif pour revendiquer la reconnaissance de cette identité. "Des autocars ont sillonné Nador, Kalia, Ferkhana, El Aroui, Béni Insar...pour impliquer tout le monde dans cette revendication. La caravane a eu des résultats probants", ajoute un avocat, installé depuis quinze ans dans cette ville.

Pour Tamazight, Pas contre l’arabe Malgré la réputation d’extrêmistes qui leur est collée à la peau, les Rifains ne sont guère contre la langue arabe. "Nous avons une langue et une culture qui s’appellent tamazight. Nous voulons qu’elles soient reconnues. C’est tout. Quant à la langue arabe, nous n’avons rien contre. La preuve, vous avez des journaux locaux en arabe et les gens d’ici en lisent", nous dit un journaliste amazigh travaillant dans un hebdo local.

Nabila Hafdi, directrice du journal régional El Oubour Essahaffi est aussi une grande militante de la cause amazighe. Vu l’intérêt qu’elle porte à la question, c’est elle qui est venu couvrir le congrès du CMA. Elle n’éprouve aucun complexe à diriger un journal en langue arabe. Elle a lancé sa gazette avec quelques jeunes journalistes. En ce moment, elle arrive à vendre 2 000 exemplaires, ce qui n’est pas rien quand on sait le nombre de journaux qui sont édités au Maroc.

Rien qu’à Nador, il existe cinq journaux régionaux. Et tous défendent becs et ongles la cause berbère. Ils ouvrent grandes leurs colonnes aux artistes chanteurs de la région qui chantent en berbère rifain, l’une des quatre variantes du tamazight au Maghreb. Lorsqu’il y a eu le congrès du CMA, ces journaux ont dépêché des équipes entières sur place. C’est dire tout l’intérêt porté à la question.

Les gens du Rif sont beaucoup informés de ce qui ce passe en Kabylie via Internet mais aussi par l’intermédiaire de la chaine II (chaine de radio kabyle algérienne) ainsi que par BRTV, captée ici grâce au piratage. Cette chaîne de télévision vient de lancer une émission en berbère marocain. Elle dure une heure et passe une fois par semaine.

Mohand Sadi, Directeur de BRTV, de passage à Nador, s’est engagé à s’ouvrir plus sur les Berbères du Maroc lorsqu’il a constaté tout l’engouement par rapport à sa chaîne. Dans un village sis à 25 kilomètres du chef-lieu de Nador, un tournoi dédié à Matoub Lounès, a été organisé dernièrement par une association de jeunes militants. L’événement a permis de mieux faire connaitre Le Rebelle dans la région. Comme la Kabylie, Nador est une région pauvre économiquement La région de Nador est pauvre.

La vie ici est très difficile. Même le tourisme qui a gâté toutes les villes marocaines a été avare avec Nador. Hocine El Hamouti, directeur de la chambre de commerce et d’industrie de Nador a insisté sur cet aspect de la région. Notre interlocuteur souligne que l’activité principale est le commerce qui occupe 70 % du PIB. Il est suivi de l’agriculture avec 40 000 hectares irrigués. L’agriculture s’est développée ces dernières années grâce à l’arrivée des investisseurs étrangers notamment espagnols. Ces derniers ont ramené avec eux leur technologie et leur savoir-faire. Le secteur s’est, de ce fait, modernisé.

Les privés sont encouragés grâce à des dispositifs de facilitation. Un investisseur bénéficie d’une exonération fiscale de 5 ans si la valeur de son investissement dépasse les 200 millions de dirhams. Il est aussi exonéré des droits de douane pour l’importation de son matériel. Il y a quatre ans, un guichet unique a été créé pour éviter les tracasseries aux investisseurs. Ces derniers ont affaire à une seule personne durant toute leur procédure.

Des centres régionaux d’investissement, au nombre de 18 au Maroc, s’occupent de l’aide aux investisseurs. L’agence pour la promotion de l’emploi est créée pour aider les jeunes financièrement dans leur projet, précise le directeur de la chambre de commerce. Ces jeunes sont accompagnés jusqu’au démarrage de leur entreprise.

Après un séjour de quatre jours à Nador, nous quittons cette région avec le même sentiment que celui que nous ressentons quand nous avions quitté la Kabylie. Vu les similitudes culturelles et linguistiques, nous nous sommes senti, chez nous, à Nador.

Source : La Dépêche de Kabylie

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