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Des cités abandonnées par l'Etat

Les structures d'aide aux populations en difficulté sont privées de moyens.


Abandonnés. Qu'ils soient de la «Petite Hollande» à Montbéliard, de Hautepierre à Strasbourg, du Mirail à Toulouse ou de l'Ousse-des-Bois à Pau... les habitants des cités dites «sensibles» où les violences se sont propagées ce week-end (lire page 8) partagent ce sentiment. «C'est une génération perdue d'enfants qui ne sont pas nés dans le pays d'origine de leurs parents et n'ont pas l'impression de vivre dans leur pays. Toute cette casse, c'est trente ans d'abandon de la jeunesse.» Le propos de ce père de famille d'origine maghrébine, de la cité des 1000-1000 d'Aulnay, peut être répliqué à l'infini. Transports, emploi, éducation, logement, environnement. Tout se passe comme si l'Etat avait en partie renoncé face à l'ampleur des problèmes. Et ceux qui, sur le terrain, essaient de pallier ses carences se plaignent d'être livrés à eux-mêmes. Tel le secteur associatif.

Subventions. L'exemple de l'agglomération lyonnaise est significatif. Le désengagement de l'Etat s'y vérifie dans chaque quartier. A la Duchère, l'un des centres sociaux a dû diminuer ses actions d'alphabétisation, les financements du Fasild (ex-Fonds d'action sociale) baissant. L'autre a stoppé la prévention qu'il menait avec les adolescents, du fait de la disparition des emplois-jeunes. Fil en forme accompagnait vers l'emploi des publics en très grande difficulté. Avec décoratrice et couturières, ils fabriquaient des rideaux pour les écoles, des costumes pour la biennale de la danse. Les subventions diminuant, il faut désormais rentabiliser le travail, et donc choisir des publics moins en difficulté.

Les associations travaillant avec les femmes ne sont pas épargnées. L'une d'elles avait lancé à Vaulx-en-Velin les premiers réseaux d'adultes relais. Elle s'appelait Sable d'or Méditerranée, menait des actions d'insertion, d'accueil des primo-arrivantes, d'accès au droit, à la santé. Et puis la baisse et les retards des subventions ont entraîné des problèmes de loyer, des difficultés pour payer les permanentes. Elles se sont battues quelque temps, puis ont baissé le rideau. Certaines travaillent avec d'autres structures de Vaulx, qui survivent difficilement. L'Epi, par exemple, fédère une centaine d'associations. Elle dispose d'un local, d'un journal, de permanents, gère un excellent réseau d'information, accompagne les autres structures, mène des réflexions de longue durée sur l'évolution des quartiers. «Nous avons failli fermer, nous aussi, faute de financements, explique l'un de ses responsables. Aujourd'hui, certaines de nos actions sont financées à 85 % par des fonds privés, des fondations.»

L'Etat avait aussi misé, longtemps, sur l'accès à la culture. C'est le ressac. A la MJC de la Duchère, le piano a cessé cette année, le théâtre pour adultes est menacé. Le cinéma d'art et d'essai traverse de grosses difficultés. Les classes à projets artistiques et culturels (Apac) ont quasiment cessé dans toute l'agglomération. A Rillieux-la-Pape, c'est la maison de la justice qui souffre, avec la disparition des emplois-jeunes. La ville avait accueilli Nicolas Sarkozy, il y a dix-huit mois, et le président de l'association Clubs de jeunes avait interpellé le ministre sur la baisse des moyens. La réponse l'avait atterré : «Le socio-éducatif, c'est bien, lui avait lâché Sarkozy. Mais ce qu'il faut à ces jeunes, c'est des formations, pas des clubs de poterie.» L'association faisait notamment du soutien scolaire.

«Jambes de bois». Les mêmes errements prévalent lorsqu'on aborde la question des infrastructures qui permettraient de désenclaver ces territoires. Ainsi, le président de Plaine Commune (huit villes de Seine-Saint-Denis), Patrick Braouezec, qui réclame un «Grenelle des quartiers populaires», a-t-il cité la ligne 13 du métro entre Châtillon-Montrouge et Saint-Denis-Université, «symbole du mépris dans lequel est tenue cette banlieue nord». Un chef de police du «93» explique comment les commissariats, qui nécessiteraient des flics d'expérience, héritent «de jeunes gardiens de la paix tout juste sortis de l'école», novices et provinciaux, pas plus âgés que les gars des cités dans lesquelles ils interviennent. «Des gars chevronnés, il n'y en a plus, car ils ne veulent pas rester. Tout le monde se barre, les policiers, les enseignants, etc. Bien sûr que les habitants sont abandonnés parce que, dans ces banlieues, on fait des emplâtres sur des jambes de bois.»

par Olivier BERTRAND (à Lyon) et Patricia TOURANCHEAU
Source: Libération

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