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Le manque de respect comme symptôme du mal français

La France n'aime plus ses jeunes, qu'elle relègue dans les ghettos ou confine à une position d'infériorité.

La crise des banlieues apparaît pour la plupart des commentateurs comme l'émergence d'une revendication communautaire d'un groupe ethnique, les Maghrébins et les Africains, résultat des ratés de l'intégration républicaine. Mais au-delà de l'exigence d'intégration est formulée une demande de respect et de reconnaissance mutuels qui prend valeur d'analyse du mal français : le déficit généralisé de relations humaines à tous les échelons organisationnels, dans les rapports de travail, dans la famille, dans les contacts fréquents avec les appareils bureaucratiques qui stigmatisent et infantilisent plus qu'ils ne reconnaissent.

Dans un monde de précarité et de flexibilité, les relations sont de moins en moins durables, elles n'engagent plus les individus à entretenir des liens de coopération et de réciprocité basés sur la confiance, chacun y devient responsable de son propre destin.

Pour les uns cette flexibilité apparaît comme une opportunité de se projeter dans un univers incertain et de réagir avec rapidité aux défis d'un monde de plus en plus complexe et interconnecté. Pour les autres, au contraire, elle redouble la précarité, et avec elle toutes les formes de dépendance. Cette dépendance devient extrême lorsque l'on éprouve le sentiment de ne plus pouvoir prendre en charge sa vie, qu'il s'agisse du travail, de la recherche d'un emploi, du logement.

Pour les «dépossédés», devant ce qu'ils considèrent comme un échec personnel, le seul recours reste l'assistance, qui accentue la dépendance, et avec elle le sentiment de honte et d'irrespect conforté par l'implacabilité et la distance froides des administrations en charge du problème. La multiplication des systèmes d'aide, leur individualisation, sont les symptômes de la fin de l'Etat-providence et du renoncement aux garanties fixes et permanentes pour rejeter sur l'individu le soin de se prendre en charge. Ceux qui n'ont pas les moyens de gravir les paliers se voient alors contraints à l'exclusion et à la honte «sociale et de soi». Pour ces raisons, toutes les marques d'irrespect et de mépris exacerbent la dignité des populations vulnérables qui sont montrées du doigt et assignées responsables de leur échec.

De ce point de vue, le ministre de l'Intérieur a fait mouche. Toutefois, paradoxalement, la violence apparaît comme l'unique moyen de retrouver sa dignité dans un monde d'inégalité et d'injustice et où les dépossédés n'ont plus droit au respect.

L'appel récurrent des gouvernants à la liberté, l'égalité et la fraternité est devenu une formule creuse et vide dans une société où l'ascenseur social est en panne, où tout désir d'égalité se heurte à un mur et où les rapports de force dans le jeu politique valent mieux que la recherche de la vérité. Pis, ce slogan est une injure à tous ceux auxquels sont interdits tout désir d'égalité et toute aspiration à la mobilité sauf descendante.

L'absence de toute virtualité et de possibilité rend toute projection impossible, annihile tout espoir de gain... «Nous n'avons plus rien à perdre», disent ces jeunes. En revanche, ce qu'ils réclament à ceux qui refusent de les entendre, c'est du respect et pas seulement de la com-passion ou de la pitié, qui est aussi une autre forme de mépris. Nos hommes politiques devraient lire le beau livre du sociologue américain Richard Sennett Respect : de la dignité de l'homme dans un monde d'inégalité (Albin Michel) pour s'atteler à oeuvrer en faveur d'une «politique du respect» dans un monde toujours plus inégalitaire, où la recherche des dimensions mutuelles de la reconnaissance est la seule condition pour recréer du lien social et rétablir la confiance.

Cette crise pointe l'absence de perspectives offertes aux jeunes et le mépris auxquels ils doivent en permanence se confronter pour se faire valoir.

Certes les jeunes des cités sont encore plus concernés que les autres, cependant leur révolte fait écho à l'absence de considération généralisée à l'égard des «juniors», à l'exclusion massive d'un grand nombre d'entre eux du monde du travail (et du logement) comme le montre le mouvement silencieux des précaires.

La révolte exprime un besoin de dignité, être reconnu non seulement par les grands frères mais aussi par le pouvoir souverain, auquel, à tort ou à raison, on impute la difficulté d'insertion et les obstacles infranchissables pour devenir des membres à part entière de la société civile. La frustration est d'autant plus grande que le pouvoir politique, ceux qui occupent des hautes fonctions, les dirigeants et les experts semblent impuissants et tout aussi dépourvus que les gens ordinaires, désorientés et perdus face aux «émeutiers».

La seule prérogative qui tient lieu de politique est la sécurité et l'ordre publics, qui apparaissent plus comme le réflexe d'une élite assiégée et en proie à la peur que comme des moyens légitimes de faire respecter des valeurs partagées par l'ensemble.

La France n'aime plus ses jeunes, elle les relègue dans des ghettos ou les confine à des positions durables d'infériorité. C'est sans doute le signe que la France ne s'aime plus elle-même, qu'elle est incapable de sortir de son quant-à-soi pour se tourner avec confiance et modestie vers les autres. «Apprends à te respecter toi-même et tu respecteras les autres», c'est cette devise de bon sens que chacun, les «grands» comme les «petits», doit mettre au fronton de sa porte pour sortir du cercle vicieux du mépris et de la haine où s'alimentent les extrémismes.

La dernière trouvaille de De Villiers est emblématique du refus de toute altérité quand celui-ci, menaçant, déclare à l'adresse des jeunes : «Aime la France ou tire-toi !» Sans faux-semblant, il exprime publiquement le vouloir rester entre soi avec les Français qui aiment la France et avec ceux-là exclusivement...

par Bernard KALAORA
Source: Libération

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