Si la plupart des gens cite l’Égypte comme étant le berceau du cinéma en Afrique du Nord, peu savent que le Maroc s’est distingué, dès la fin du XIXe siècle comme une destination cinématographique internationale. A un an seulement après le lancement du secteur en Égypte, Louis Lumière, le père de la photographie et du cinéma, dépêchait en 1895 une équipe pour tourner les premières séances d’un film au Maroc. Le plus ancien tournage étranger au Maroc s’appelle «Le Chevrier Marocain».
Nous sommes en 1891. C’est à partir de cette date que Thomas Edison, l’inventeur américain, commence à réaliser des films à travers les premiers caméras inventées. Jusqu’en 1895, il aurait réussi à filmer quelque 70 films. La même année, les frères Lumière, Auguste Marie Louis Nicolas et Louis Jean, projetaient leurs premières œuvres, intitulées «vues photographiques animées».
Mais avant de réaliser «L’Arroseur arrosé», présenté le 28 décembre 1895 en séance payante ouverte au grand public à Paris, Louis Lumière a dépêché une équipe pour tourner le premier film en terre marocaine, rapporte la professeure Susan Ossman dans «Picturing Casablanca: Portraits of Power in a Modern City» (Editions Unversiy Of California Press, 1994).
«L'équipage de Louis Lumière tourne les premières séquences du Maroc en 1895. Le film qui en résulte, ‘’Le Chevrier Marocain’’, devait faire partie d'une série de films destinés à familiariser le public français avec des lieux lointains. Confiant qu'il pourrait élargir les perspectives du Français moyen, Lumière a articulé ses efforts avec des déclarations sur la science et le réalisme.»
Une série également en Algérie et en Tunisie
Dans leur ouvrage «Culture coloniale en France depuis la révolution» (Editions Indiana University Press, 2013), Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire, Nicolas Bancel et Dominic Thomas rapportent plus de détails avec un air critique. Ils évoquent d’abord une «allégorie claire de la conquête coloniale» et estiment qu’«il en va de même pour les premiers films de Louis Lumière datant de 1896 qui reprennent le thème des personnes exposées dans toute l'Europe - à Paris au Jardin zoologique d'acclimatation, à Genève en 1896 et l'année suivante à Lyon avec les Ashanti». «Ses caméramans ont commencé à faire des reportages sur les colonies dans des documentaires datant de 1900 : La Prière du Meuzzin, Alger marché arabe, Tunis le marché aux poissons, Chevrier marocain, Tunis rue El Halfaouine, etc», poursuivent-ils.
Louis Lumière. / Ph. DR
Pour les quatre auteurs, l’objectif de ces films documentaires «était de donner vie aux photographies comme celles utilisées dans la publicité qui avaient créé les images et stéréotypes coloniaux dominants». «L'idée était également d'inscrire ces terres dans l'espace national, en France, comme une partie légitime du territoire national», concluent-ils.
Cependant, si «Le Chevrier Marocain» est bien cité parmi les œuvres de Lumière tournées au Maroc, les séquences ne figurent pas dans le catalogue Lumière. Ce dernier contient toutefois plusieurs autres séquences tournées en Algérie et en Tunisie.